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Café philo virtuel
Thème : Comment peut-on définir la relation entre l'être humain et le monde et celle entre l'esprit et la matière ?

Ce débat philosophique virtuel en cours de création réunit des participants connus et inconnus, anciens et contemporains. Si vous souhaitez y participer, envoyez-moi vos interventions ou vos propositions d'extraits de textes à jacquesbailhache@minitel.net. S'il s'agit d'une réponse à une autre intervention, vous pouvez indiquer son numéro.
Si vous avez un site web, vous pouvez aussi y copier cette page en y ajoutant vos interventions.

  1. Animateur : La question de la relation de l'être humain au monde est fondamentale car elle résume la motivation du questionnement philosophique de l'homme. C'est la question éthique fondamentale. En la déplaçant légèrement "vers l'intérieur", elle se pose en terme de relation entre l'esprit et la matière, qui est la question métaphysique fondamentale. On peut aussi considérer la triple relation esprit - corps - monde, l'ensemble esprit corps constituant l'homme, et l'ensemble corps monde la matière. Ces questions me semblent donc couvrir les interrogations les plus fondamentales de tous les champs de la philosophie.

  2. Angèle Kremer-Marietti : Les bornes extérieures ("les deux extrémités") (SPP, II, 432) de la classification des sciences permettent de considérer que toute étude est abordable selon un principe de division binaire (la diairesis platonicienne) et selon un principe opposant deux points de vue contraires. Il s'agit de dichotomies universellement repérables : dogmatique / historique, statique / dynamique, théorique / pratique, tandis que sont appliquées des déterminations contraires et binaires, telles que : concret/abstrait et abstrait/concret, général/spécial, simple/complexe, existence/mouvement, ordre/progrès. L'ordre et le progrès peuvent apparaître, comme en astronomie, sous les espèces d'un invariant et de variations. D'autres alternatives sont notées, telles que : intérieur/extérieur, dedans/dehors, objectif/subjectif. Ces relations fonctionnelles ont elles-mêmes pour cadre de référence la relation homme/monde. Cette dernière détermine le type de méthode : si elle va dans le sens homme® monde, elle relève de la méthode subjective qui fut suivie par la métaphysique traditionnelle, tandis que la relation monde ® homme relève de la méthode objective, préconisée et pratiquée par Comte dans le Cours de philosophie positive. Le Système de politique positive institue une relation homme® monde d'un type nouveau avec pour base la sociologie et le renversement qu'elle occasionne dans la hiérarchie des sciences. Cette méthode dite subjective n'est en fait que la conception d'une méthode tenant compte de l'instauration du point de vue sociologique de la 46e leçon du Cours [13]. Comte la pratique désormais en complément de la méthode objective : selon le vœu émis à la 40e leçon [14] du Cours, la méthode devient alors totale. Cette décision se confirme dans le Système par le double refus d'une philosophie purement objectiviste et d'une philosophie purement subjectiviste [15]. Le terme d'absolu est donc définitivement écarté du vocabulaire de Comte, dans son sens matériel ou spirituel, puisque le passage de l'absolu au relatif représente pour lui le saut épistémologique essentiel [16].

  3. Eric Alliez : A repartir de là, de deux choses l'une, puisque Husserl même, comme Deleuze, semble bien retenir de la révolution copernicienne que « penser se fait plutôt dans le rapport du territoire et de la terre »91 qu'entre un sujet et un objet : ou la pensée est l'affaire d'une incarnation et d'une reterritorialisation (relative : de la terre réduite au territoire, dans l'expérience primordiale de « ma chair »), et l'ontologie n'est possible qu'en tant que phénoménologie selon la célèbre formule de Heidegger ; ou la pensée fait de l'expérimentation de l'immanence et de la déterritorialisation (absolue : du territoire à la terre, dans le devenir non humain de l'homme) sa condition, et la phénoménologie n'est possible que comme ontologie. Ce sont deux logiques de la multiplicité qui s'opposent. Selon la thèse phénoménologique de l'Unité intentionnelle de l'être au monde, « toute multiplicité implique nécessairement une unité téléologique qui l'ordonne. Cette ordination est le garant de sa rationalité (...) aussi l'explicitation de la subjectivité transcendantale est-elle le fait de la philosophie première.92 » Selon la thèse ontologique du Pli événementiel de l'être du monde où l'événement est « un opérateur de "mise à niveau" l'un de l'autre de la pensée et de l'individuation »93, le devenir et la multiplicité étant un seul et même être, le multiple n'a plus d'unité à laquelle tout être est relatif, le devenir n'a plus de sujet distinct de lui-même, le sujet s'égale au monde dont il est un point de vue constituant, le monde emporte avec lui la pensée comme hétérogenèse de la nature... Alors - et l'on retrouve ici les thèmes de Gilbert Simondon, si importants dans la perspective deleuzienne d'un renouvellement du bergsonisme94 - l'ontologie consiste à suivre la phénoménologie de l'être dans sa genèse et dans son concept, « à accomplir la genèse de la pensée en même temps que s'accomplit la genèse de l'objet », car « chaque pensée, chaque découverte conceptuelle, chaque surgissement affectif est une reprise de l'individuation première (...), dont elle est une résonance éloignée, partielle mais fidèle. (...) Selon cette perspective, l'ontogenèse deviendrait le point de départ de la pensée philosophique, elle serait réellement la philosophie première... »95 Comme le dit très bien Badiou, le concept doit devenir description des figures du multiple comme tissu vivant pour que Deleuze puisse penser créer une philosophie-nature recouvrant « une description en pensée de la vie du Monde, telle que cette vie, ainsi décrite, puisse inclure comme un de ses gestes vivants la description elle-même ». La caractérisation du transcendantal comme virtualité ontologique du sensible lance ainsi une véritable phénoménologie du concept où le « concept doit traverser l'épreuve de son évaluation biologique »96 pour atteindre à son infinité propre, à son état de survol absolu par rapport à ses composantes. Et Deleuze de renvoyer au néo-finalisme de Raymond Ruyer la description des concepts comme « surfaces et volumes absolus », êtres réels dont les formes « n'ont pas d'autre objet que l'inséparabilité de variations distinctes »97. Le concept d'un oiseau, ou l'oiseau comme Événement sur le Plan de Nature valant pour une nouvelle dimension du concept, « qui ne se confond ni avec l'essentialité formelle intelligible, ni avec la choséité sensible, formée et perçue (...) pour instaurer un tout nouveau rapport entre les pensées et les choses, une vague identité entre les deux »98. Et Deleuze de rapporter cet empirisme supérieur au pas décisif que Husserl a fait faire à la pensée en découvrant, sous l'idée de « singularité eidétique » et la perception de « concreta fluents », une région d'essences matérielles et vagues, c'est-à-dire vagabondes, anexactes et pourtant rigoureuses, appelant la construction de concepts morphologogiques, inexacts par essence et non par hasard 99...

    Procédant par une exposition directe de ce concept du concept, mobilisant un virtuel qui n'est pas moins réel que l'actuel (un plan d'immanence radical, sans commune mesure avec le jeu de la présence et de l'ab-sence heideggeriennes), tout se passe comme si Deleuze achevait la course de la phénoménologie en libérant le radicalisme de son départ (husserlien) de ses contraintes législatives. Mais on ne voit plus dès lors pourquoi les essences vagues devraient constituer les linéaments d'une « protogéométrie », sauf à maintenir le primat constituant de la science royale sur la philosophie ; ni pourquoi coincer les singularités eidétiques dans une position d'intermédiaire entre l'essence et le sensible, s'il s'agit de penser l'être du sensible dans l'hétérogenèse de la pensée, et réciproquement, et qu'« il n'est donc d'"intermédiaire" que dans la mesure où l'intermédiaire est autonome, s'étend d'abord lui-même entre les choses, et entre les pensées... », sous forme d'un flux multidimensionnel et impersonnel auquel l'identité du sujet, fût-ce dans la projection d'un vécu, a dû céder le pas100 quand toute la matière devient expressive sur fond obscur d'animalité enveloppante et globale, selon l'expression d'Alain Badiou. Deleuze développe ainsi une manière d'onto-éthologie pour en finir avec Dieu et avec le jugement de ses tenants-lieu. Nul besoin dès lors de rapporter l'art à une identité d'origine qui « donne » l'être de la sensation : à rendre sensible la Vie dans ses « zones d'indétermination », l'oeuvre d'art nous enjoint plutôt de libérer la vie partout où elle est prisonnière. Ce qui constitue comme la version « sauvage » d'une esthétique transcendantale dont le réquisit serait fourni par l'idée sensible d'une indiscernabilité matérielle entre l'art et la vie.

    C'est ainsi qu'à la phénoménologie de l'art comme dernière étape de la phénoménologie se substitue une méta-esthétique matérielle comme nouveau commencement de l'ontologie rendu possible par l'im-possibilité d'une phénoménologie dont on retient la radicalité du départ.

  4. Bruno Marchal : Il n'est pas facile d'énoncer de but en blanc le problème du corps et de l'espritgif. Il y a autant d'énonciations possibles qu'il y a de systèmes philosophiques. Le travail que j'ai effectué sur ce thème consiste en grande partie en la dérivation d'une nouvelle formulation de ce problème dans le cadre computationnaliste. Essentiellement, résoudre le problème du corps et de l'esprit (PCE) consiste à rendre compte de l'écart entre ce qui est désigné par le corps, ou la matière, ou l'objet ou d'une façon générale tout ce qui est communicable à la troisième personne, d'une part et, d'autre part l'esprit, l'âme, le soi, le vécu, la subjectivité ou d'une façon générale ce que la première personne, appelée aussi le sujet, est capable de ressentir de façon privée. Est-il seulement possible d'aborder objectivement la nature de la subjectivité ? Cet espoir n'est-il pas à la base contradictoire ? On doit reconnaître, avec [Nagel, 1994], que la science a d'autant plus progressé qu'elle a mis le sujet à l'écart. On peut dire sans crainte d'exagérer, que la science, ou les scientifiques, ne s'intéressent qu'aux propositions communicables à la troisième personne, et donc vérifiables par la troisième personne. On ne s'étonne pas alors que certains ``scientifiques" sont tentés d'écarter le problème du corps et de l'esprit en le jugeant comme étant a priori non scientifique. Cette attitude repose cependant sur une confusion de niveaux ou de catégories. En effet, rien a priori n'interdit, moyennant définitions et hypothèses comme toujours en sciences, d'isoler un discours communicable à (et donc vérifiable par) la troisième personne, discours portant précisément sur les discours de la première personne. Et c'est bien ce que tente de faire la psychologie cognitive, notamment les psychologues fonctionnalistes, mais aussi à leur façon les neurophysiologues. Le succès de cette entreprise reviendrait à ``naturaliser l'intention" (Pacherie, 1993) ou encore, à résoudre ce qu'il est convenu d'appeler, en philosophie de l'esprit, le problème restreint du corps et de l'esprit (the weak mind-body problem). On disposerait d'une théorie, c'est-à-dire un discours communicable à la troisième personne (je dirai simplement: un discours 3-communicable), discours permettant d'expliquer à partir de l'état d'un cerveau (généralisé) les discours et les comportements de la première personne. Malheureusement un tel succès évacuerait apparemment ce qu'on appelle ``the strong mind-body problem". Je dirai : le problème profond du corps et de l'esprit. Le problème profond concerne la relation entre le cerveau (généralisé) et l'expérience phénoménale de la conscience elle-même, et non pas la relation entre le cerveau et les discours, portant éventuellement en apparence sur cette expérience phénoménale).

  5. Pierre Teilhard de Chardin : Aujourd'hui l'homme (ou plus exactement l'humain) forme le pivot sur lequel s'appuie, s'articule, se cohère et se meut l'édifice entier de mon Univers intérieur. Mais tant s'en faut que, à cette position cardinale, il se soit trouvé, dans mes perspectives, porté sans résisance et du premier coup. Par suite de l'éveil en moi de la notion d'évolution, l'Esprit (je viens de le dire) avait supplanté, à mes yeux, le Minéral et l'Atomique dans leur dignité d'essence inaltérable et enveloppante de l'Univers. Mais cet esprit, conçu vaguement à la façon d'une sorte d'antipode à l'énergie du physicien, restait - et il devait rester longtemps - pour moi sans structure précise ; deux préjugés natifs, tenaces, me détournaient de regarder en face, et d'assimiler, le fait (assez clair cependant !) que si le monde représente bien vraiment un système organo-dynamique en voie d'intériorisation psychique, c'est à travers la Chair, par voie d'hominisation, que s'opère la noogénèse.
    D'une part (j'ai déja noté cette réaction plus haut en parlant de mes premières relations avec la nature), - d'une part, dis-je, l'instabilité physico-chimique des substances organiques en général, et plus particulièrement du corps humain, continuait à offusquer affectivement, en dépit de toute évidence intellectuelle contraire, mon besoin de consistance.
    Et d'autre part - obstacle nouveau - plus dans ma pensée s'affirmait et grandissait la primauté et l'attrait du Cosmique, plus par contaste l'humain me déroutait et me gênait par la prépondérance que prenait à son niveau "l'individuel", "l'accidentel", "l'artificiel" ... Chez l'homme, le Plural neperçait et ne déchirait-il pas inévitablement et désastreusement l'Universel et le Total ?... L'arbre laissait-il encore,, je ne dis pas seulement voir, mais subsister, la forêt?...
    D'une manière un peu schématique, il me semble pouvoir ramener à trois les étapes qu'il me fallut successivement franchir, entre 30 et 50 ans, pour surmonter ces deux formes de répugnance intérieure, et prendre enfin pleine conscience des extraordinaires richesses cosmiques concentrées dans le Phénomène Humain :
    La première étape me faisait accéder à la notion de Planétarité humaine (existence et contours d'une Noosphère).
    La deuxième me découvrant plus explicitement la transformation critique subie par l'étoffe cosmique au niveau de la Réflexion.
    Et la troisième me conduisant à reconnaitre, par effet de convergence psycho-physique (ou "Planétarisation"), une dérive accélérée de la Noosphère vers des états ultra-humains.

  6. Stéphane Bleus : L'homme est la sublime intersection entre la profondeur de la matière et la lumière de l'esprit. Dans le mot "sublime" il y a une conception esthétique. Il ne s'agit pas d'une occurence d'intersection, d'un phénomène aléatoire, il s'agit d'une nature, d'une coexistence de deux natures chez un même être. Le phénomène humain est plus qu'un phénomène, c'est un être. Cette coexistence est belle, sublime. C'est une injonction paradoxale que la raison peut appuyer mais ne peut démontrer, la réunion de deux infinis, la profondeur de la matière qui est la manière d'habiter le monde, et la lumière de l'esprit qui est la manière de laquelle la matière passe par différents stades pour se spiritualiser dans le verbe qui n'est rien d'autre que le point culminant de la pensée chez l'homme qui se distingue dans l'univers par la parole. Donc, l'être humain réunit dans son langage ces deux points, langage qui a besoin de la matière pour se véhiculer, mais qui est plus que cette matière, qui ne peut pas se résumer aux atomes qui le constituent, c'est un sens, et ce sens se dévoile à la lumière de l'esprit. Nous sommes le lieu d'un sublime échange, d'un paradoxe entre le spirituel et le matériel, et le langage est un exemple de cette sublime intersection qui fait toute notre dignité. Ce qui nous rend unique c'est le fait que nous sommes cette intersection et que nous sommes des êtres de langage. Ce n'est pas le nombre de nos chromosomes. C'est parce que nous sommes des êtres de langage qu'on ne peut pas nous détruire, que nous méritons un respect infini. Nous parlons autrement que par le verbe, nous parlons par le corps, les émotions. Il y a un dire qui n'est pas langagier, la contemplation du beau, le fait de faire du bien à autrui, tout ça c'est le Langage qui est le lieu de cette intersection et qui fait la valeur suprême de l'être humain, qui n'est ni un tas d'atomes ni un pur esprit mais matière éprouvée par l'esprit.

  7. Jean Noël : Depuis les grecs, on sait que l'homme est un être de langage et que le langage est au-dessus de la matière. Quand l'homme invente la roue, ce n'est pas la roue physique, c'est la roue en soi. Le concept existe indépendemment de la matière. L'homme produit quelque chose qui est indépendant de ce qui est corruptible. L'homme arrive à complexifier son monde propre, le monde des artefacts, du langage, des outils, des idées. L'histoire humaine est transcendante à la nature. L'homme a commencé à parler au même moment qu'il a produit des outils. Cette production d'outils, de langage, de sens, est transcendante à la nature, à la matière. Est-ce que c'est à l'intersection de la lumière de l'esprit et de la profondeur de la matière ? La question reste grande ouverte.

  8. Est-ce que ce mot d'intersection ne doit pas s'envisager par rapport à l'espace et surtout par rapport au temps ? Ce que Jean nous a expliqué avec les artefacts débouche tout droit vers le problème fondamental du temps. La condition humaine est la perception du monde extérieur, des autres. Nous connaissons ce qui nous arrive pendant l'aventure temps. Dans l'état actuel de nos connaissances, c'est dangereux de vouloir se figer dans cette dichotomie matière - esprit. Toute une école importante (Böhm...) soutiennent que la matière pourrait être de la lumière gélinifiée, dont le temps serait modifié, la vitesse réduite. L'âme semble échapper au temps. Tous les matins on condamne des gens au nom du code Napoléon. Nos séquences génétiques contiennent la survivance de nos ancêtres. Est ce que parce que ça échappe à mon expérience de vie ce serait moins de moi-même ? Est-ce qu'unepartie de moi-même ne se trouve pas dans mes enfants comme elle s'est trouvé dans ceux qui m'ont précédé ?

  9. Jacques Bailhache : Est-ce c'est seulement l'être humain qui est une intersection entre la lumière de l'esprit et la profondeur de la matière, est-ce que ça sous entend que les animaux n'ont pas d'esprit ? J'aurais tendance à penser qu'on pourrait dire ça des animaux, et que la différence est la puissance de calcul du cerveau humain qui nous rend plus intelligents que les animaux. L'esprit n'est pas qu'une question de puissance de calcul, c'est aussi des questions métaphysiques transcendantes telles que le miracle de la conscience, le simple fait que nous percevons ce qui nous entoure. C'est peut-être dans la profondeur de la matière qu'on peut trouver une place pour l'esprit. Les êtres vivants sont constitués de cellules qui sont faites de molécules qui sont elles-même des assemblage d'atomes qui sont contitués de particules...

  10. Samuel Jauvert : Bien que la science soit loin d'avoir donné une explication de tous les phénomènes biologiques, il est un fait que la recherche a toujours conduit les scientifiques à ramener ces phénomènes biologiques à des actions et réactions chimiques, physiques ou mécaniques obéissant au même déterminisme que les corps du monde du 'non vivant'. La complexification se produit sous la forme de montages hiérarchisés dans les quels chaque synthèse d'éléments se présente comme élément lui-même d'une synthèse de degré supérieur. Les particules constituent des atomes dont les combinaisons forment des molécules dont certains agencements forment des protéines qui a leur tour forment des cellules qui constituent les divers organes des êtres vivants qui se regroupent en colonies qui parfois formes des sociétés...

  11. Basarab Nicolescu : Une possibilité est que le processus de "jeu de construction" ne s'arrête jamais . A une certaine échelle on peut avoir l'impression d'"objets fondamentaux", mais ils sont, à leur tour, constitués d'autres "objets fondamentaux à une plus petite échelle, dans un processus sans fin. C'est la vision de ce qu'on pourrait appeler l'atomisme mou, qui implique en fait une dissolution totale mais ambiguë de la notion d'"objets fondamentaux".

  12. Jacques Bailhache : On pourrait effectivement imaginer que ça puisse continuer à l'infini. Si ça s'arrêtait à un niveau donné on serait comme des machines, et dans une machine est-ce qu'il y aurait de la place pour l'esprit ? Ca voudrait dire que n'importe quel phénomène physique pourrait être conscient. Est-ce que le caillou qui tombe par terre est conscient qu'il doit s'arrêter quand il rencontre le sol ? C'est parce que ça me parait difficile à croire que je préfère l'idée que l'esprit se situe dans cette profondeurs infinie de la matière. Quel que soit le niveau d'approximation auquel nous la décrivons il reste toujours quelque chose qui échappe à cette description. Ca laisserait donc une place pour l'esprit en tant que limite de cette plongée à l'infini dans les profondeurs de la matière, et dans cette imbrication que je viens de décrire il y aurait toujours un intérieur pour percevoir un extérieur, et c'est je crois le propre de la conscience d'être un intérieur percevant un extérieur.

  13. Animateur : Pour poursuivre notre réflexion, je propose de nous intéresser de plus près à l'esprit dans son rapport à la matière. Comment peut-on le définir ?

  14. Roger Penrose : Comme je l'explique au début de mon livre "Les Ombres de l'Esprit", il me semble que l'on peut raisonnablement avancer au moins quatre points de vue différents - quatre extrêmes - sur ce sujet :

  15. Jacques Bailhache : Je vois l'esprit comme le point limite d'une imbrication infinie d'intérieurs percevant des extérieurs et agissant sur eux. L'esprit est caractérisé par cette double relation, ce double transfert d'information, dans le sens extérieur vers intérieur, qui donne la conscience, et dans le sens intérieur -> extérieur, qui donne, selon certains, le libre arbitre. Notre perception immédiate de notre propre conscience met en difficulté les thèses matérialistes : si la pensée peut n'être que l'activité physique des neurones, tant que personne ne perçoit cette activité, il n'y a pas de conscience.

  16. Gérard Sabah : Pendant de longues années, les chercheurs en intelligence artificielle et en sciences cognitives se sont gardés d'aborder le thème de la conscience, qui apparaissait comme une notion trop vague pour permettre une étude scientifique et pour fonder la cognition. Des Grecs à Descartes, les rapports entre le cerveau et l'esprit sont fondés sur le dualisme et l'interaction d'un corps et d'un esprit matériels. Descartes fut le premier à tenter d'expliciter comment un esprit non matériel interagissait avec le corps (par l'intermédiaire de la glande pinéale). Les " occasionnalistes " (Malebranche, mais aussi de façon un peu plus lointaine, Spinoza et Leibniz) conçoivent l'idée fantastique d'un parallèle, commandé par Dieu, entre le corps et l'esprit, par ailleurs indépendants. Puis, faute d'idée nouvelle, cette question reste longtemps en sommeil. Ainsi, Bertrand Russell prétendait les résultats de l'introspection scientifiquement inutilisables car n'obéissant pas aux lois physiques. De même, le behaviourisme, voulant fonder la psychologie comme science exacte, exclut toute notion d'état mental, et rejette ce qui concerne la conscience comme fondamentalement hors de son domaine.

    Un renouveau de cette question semble dû à la théorie darwinienne de l'évolution bien qu'Eccles (Eccles 1992) se demande à ce sujet comment des organismes vivants ont acquis des expériences mentales -- non matérielles -- dans un monde autre que celui qui contenait alors tout ce qui existait ? (" Conscience : "le cadavre dans le placard" de l'orthodoxie évolutionniste "). D'un autre côté, le matérialisme orthodoxe (il n'y a pas d'esprit sans corps, sur lequel seules des entités physiques peuvent agir) débouche inévitablement sur la conclusion que l'homme est analogue à une machine. Les problèmes essentiels que pose cette conception sont alors d'expliquer les sentiments, la conscience et le libre arbitre en se fondant uniquement sur les lois de la physique classique.

    Pylyshyn (Pylyshyn 1984) -- suivi par (Eckardt 1993) -- tente de fonder la science cognitive comme le domaine des perceptions et des connaissances avec un niveau de représentation où l'on fait abstraction des facteurs sociaux et des aspects émotionnels (ce cognitivisme classique est clairement explicité dans (Gardner 1985)). Ces hypothèses ont suscité des réactions hostiles et diverses remises en cause : Edelman (Edelman 1992) argumente violemment à propos des affirmations non prouvées sur la structure du monde et les mécanismes de catégorisation que ces hypothèses supposent ; il se fonde en particulier sur (Rosch 1975, Rosch 1977) qui avait montré que le monde n'est pas structuré en catégories classiques, catégories que nos perceptions nous indiqueraient telles quelles. Par ailleurs, Searle (Searle 1992) estime scandaleux qu'une science qui se veut étudier l'esprit ignore les aspects liés à la conscience.

    Ainsi, la Science Cognitive, vue comme la science de l'esprit, ne peut négliger les facteurs sociaux, les aspects émotionnels et la conscience. Divers livres, sortis au début des années quatre-vingt-dix (Edelman, Rosenfield, Dennett, Varela et d'autres), se fondent sur l'idée commune que divers signes, biologiques et psychologiques, indiquent non seulement qu'une meilleure compréhension de la conscience est possible, mais qu'elle est nécessaire pour la compréhension de la cognition en général.

  17. René Descartes : Je voudrais examiner la relation entre l'esprit et le corps. Pour commencer donc cet examen, je remarque ici, premièrement, qu'il y a une grande différence entre l'esprit et le corps, en ce que le corps, de sa nature, est toujours divisible, et que l'esprit est entièrement indivisible. Car en effet, lorsque je considère mon esprit, c'est-à-dire moi-même en tant que je suis seulement une chose qui pense, je n'y puis distinguer aucunes parties, mais je me conçois comme une chose seule et entière. Et quoique tout l'esprit semble être uni à tout le corps, toutefois un pied, ou un bras, ou quelque autre partie étant séparée de mon corps, il est certain que pour cela il n'y aura rien de retranché de mon esprit. Et les facultés de vouloir, de sentir, de concevoir, etc., ne peuvent pas proprement être dites ses parties: car le même esprit s'emploie tout entier à vouloir, et aussi tout entier à sentir, à concevoir, etc. Mais c'est tout le contraire dans les choses corporelles ou étendues: car il n'y en a pas une que je ne mette aisément en pièces par ma pensée, que mon esprit ne divise fort facilement en plusieurs parties et par conséquent que je ne connaisse être divisible. Ce qui suffirait pour m'enseigner que l'esprit ou l'âme de l'homme est entièrement différente du corps, si je ne l'avais déjà d'ailleurs assez appris.

  18. Jacques Bailhache : Qui suis-je ? Notre intuition première nous incite à nous considérer comme une monade, une entité spirituelle unique, formant un tout indivisible, ayant sa propre identité, un esprit doté d'une conscience perceptive et d'un libre arbitre.

    Mais le modèle de l'univers élaboré par notre civilisation nous apprend que notre corps est une colonie de cellules. Les êtres vivants pluricellulaires sont apparus ainsi : des êtres unicellulaires indépendants se sont regroupés en colonies, se sont agglutinés pour former un corps pluricellulaire, et les différentes cellules se sont spécialisées dans une fonction particulière dépendant de leur emplacement dans le corps, donnant ainsi naissance aux différents organes. Mais nous restons une colonie de cellules, et notre cerveau une colonie de neurones.

    L'impression que nous pouvons avoir de former un tout indivisible provient de l'énorme écart existant entre la forte connectivité interne permettant des échanges d'informations très importants entre nos cellules (et plus particulièrement les neurones) et la relativemment faible connectivité externe qui limite l'importance des échanges d'informations avec notre environnement.

  19. Samuel Jauvert : Tout domaine d'éléments en interaction réciproque constitue une conscience unique qui poursuit sa recherche d'amélioration. Ceci ce traduit toujours par la formation d'une synthèse plus complexe.
    Les abeilles, les fourmis, les termites sont comparables aux cellules d'un être vivant. Le bon ordre qui règne dans ces sociétés ne s'explique que par ce que chaque individu est commandé par un champ de conscience unitaire d'un niveau supérieur.
    Les synthèses à tous les niveaux ne se constituent que si les éléments trouvent leur amélioration de conscience particulière dans l'amélioration de la conscience commune. Dans une société humaine, tous les sujets agissent pour leur satisfaction propre. Ces actions sont cependant destinées a l'élévation du niveau de vie de la communauté.
    Notre cécité est toujours aussi complète dans la macrophysique que dans la microphysique. On peut penser que toutes synthèses, depuis l'atome jusqu'à " l'Organisation des Nations Unies " ont dans leur domaine particulier un champ de conscience unitaire, Un " Je " dont nous cherchions en vain à savoir à quoi il ressemble par introspection de notre propre " Je ".

  20. Le terme esprit est ambigu en Français car il désigne à la fois ce que les anglais appellent "mind" (qu'on appelle parfois "mental" en Français), qu'on peut identifier à l'activité du cerveau, et "spirit", un concept métaphysique transcendant à la matière, qu'on peut aussi appeler l'âme.

  21. Lucrèce : Je dis que l'âme (souvent nous disons l'intelligence), dans laquelle résident le principe et la règle de nos actions, n'est pas moins une partie de notre corps que les mains, les pieds et les yeux... Voici une raison de conclure que l'esprit et l'âme sont corporels; car, s'ils font mouvoir nos membres, s'ils nous arrachent des bras du sommeil, s'ils altèrent la couleur du visage et gouvernent à leur gré l'homme entier, comme ces opérations supposent un contact, et le contact une substance corporelle, ne faut-il pas avouer que l'esprit et l'ame sont corporels ? ... Mais quels sont les éléments de cette ame ? De quelle espèce d'atomes est-elle composée ? ... L'âme, cette substance si mobile, doit etre formée des atomes les plus petits, les plus lisses et les plus arrondis... L'âme est formée de molécules imperceptibles, beaucoup plus déliées que les éléments de l'eau, des nuages et de la fumée, puisqu'elle se meut avec plus de vitesse et de facilité.

  22. Ne pourrait-on pas imaginer que l'esprit et sa faculté de libre arbitre puissent trouver leur source dans l'indéterminisme de la physique quantique ?

  23. Roger Penrose : Si le cerveau est effectivement le siège d'effets macroscopiques déclenclés par des processus quantiques, certaines personnes pensent que, grâce au phénomène d'indétermination quantique, l'esprit est en mesure d'influencer le cerveau. Ces personnes adoptent probablement ici un point de vue dualiste, soit explicitement, soit implicitement : le "libre arbitre" d'un "esprit extérieur" influencerait les choix quantiques résultant de processus non déterministes. Ce serait au moyen de la procédure quantique R [de réduction du paquet d'onde] que l'"entité pensante", selon les dualistes, influencerait le comportement du cerveau.
    Si nous admettons que les microtubules contrôlent l'activité cérébrale, il nous faut donc rechercher dans leur comportement un mécanisme différent d'un simple calcul. J'ai affirmé qu'une telle action non calculable est alors probablement le résultat d'un phénomène de cohérence quantique se situant à une échelle relativement grande et couplé de manière subtile au comportement macroscopique, de sorte que le système utilise un processus physique encore inconnu et qui devrait remplacer la procédure bouche-trou R de la physique actuelle.

  24. David Larousserie : Où se niche donc notre conscience ? Au début des années 90, le mathématicien anglais Roger Penrose croit bien avoir trouvé la réponse à cette fascinante question. Ce serait dans le cerveau bien sûr, mais à un niveau encore plus fin que celui des neurones, jugés trop gros et trop complexes. Le petit génie de notre conscience serait une protéine, la tubuline, sorte de brique constituant le squelette des cellules, notamment les neurones (lire l'encadré ci-dessous). Non content d'avoir déniché la conscience, ce mathématicien en livre le fonctionnement. Le modèle d'un cerveau quantique était né.

    Cerveau certes, mais pourquoi quantique ? La théorie quantique autorise la manipulation d'objets assez curieux, susceptibles d'être à la fois dans deux états comme dans l'exemple fameux du chat de Schrödinger (lire l'encadré p. 74), à la fois mort ET vivant. Ce n'est que lors d'un processus d'observation ou de mesure qu'un seul des deux états subsiste : chat mort OU vivant, dans notre exemple. De même, la tubuline possède deux états qui se distinguent par des conformations spatiales différentes. Le modèle de Penrose décrit alors la préconscience comme une superposition d'états quantiques codée dans les molécules de la tubuline. Comme suspendues dans l'air, des idées ou des sensations y sont inscrites : " Je me sens bien ", " je me sens fatigué ", " je me sens ailleurs "... Et soudain, dans un mécanisme quantique dit de réduction du paquet d'ondes, une seule de ces pistes émerge : " Je me sens las. " C'est la conscience !

    " Vous avez besoin de ces effets quantiques pour expliquer des aspects énigmatiques de la conscience comme la libre volonté ou la transition du processus de préconscience vers celui de la conscience ", explique Stuart Hameroff, médecin anesthésiste à l'université d'Arizona (Etats-Unis) et collaborateur de Roger Penrose. Ce porte-parole du cerveau quantique, que l'on dit aussi à l'aise avec les philosophes qu'avec les mathématiciens ou les physiciens, a donc vu d'un mauvais il la récente attaque contre son modèle, menée par Max Tegmark, un physicien de l'université de Pennsylvanie. Au début de cette année, celui-ci en a contesté la validité en calculant le temps durant lequel la superposition préconsciente est maintenue. En effet, si la mécanique quantique autorise bien ces superpositions rocambolesques, elle en fixe aussi les limites. Notamment leur fragilité. A la moindre perturbation, au moindre échange avec l'extérieur, tout s'écroule. Or, cela va très vite, trop vite même par rapport à ce qu'on sait de la vitesse de réponse des neurones. Le verdict de Tegmark est clair : en dix mille milliardièmes de seconde, le pont suspendu où circulent nos idées s'écroule.

    Exit le cerveau quantique ? Non, car Stuart Hameroff devrait bientôt publier dans la même revue que Tegmark une réponse cinglante. Il balaie les arguments adverses en pointant des erreurs de calcul, une mauvaise compréhension de leur modèle et en ajoutant des processus censés protéger de la décohérence, ce phénomène qui détruit les superpositions quantiques. Après de nouveaux calculs, les dix milliardièmes de seconde deviennent des millionièmes, sans doute suffisants pour accommoder notre cerveau à la sauce quantique. Jack Tuszynski, physicien au Starlab de Bruxelles et cosignataire de la réponse de Hameroff, explique comment la tubuline se protégerait de la décohérence malgré l'environnement hostile : " Bien des pistes existent. Par exemple, il est possible qu'un comportement collectif des molécules de tubuline réduise le temps de décohérence. Ou encore, les molécules d'eau à la surface de la protéine agiraient comme un bouclier de glace autour des molécules de tubuline. "

    De son côté, Dick Bierman, physicien au Starlab, explore la piste expérimentale. Ce fameux temps, il va le mesurer ! On n'est jamais mieux servi que par soi-même, c'est donc en éclairant son propre il avec un laser qu'il espère trouver la réponse. Il ne sera pas au bout de ses peines car un autre point faible apparaît dans le modèle, encore à cause de la mécanique quantique. Comment en effet caractériser la réduction du paquet d'ondes, qui fait passer de la préconscience à la conscience ? Roger Penrose a bien sûr la réponse. Une réponse qui s'inspire de son travail avec Stephen Hawking sur les trous noirs : la gravitation quantique. Le cerveau préconscient construirait et manipulerait ses états de superposition jusqu'à un seuil au-delà duquel l'effondrement aurait lieu.

    L'introduction de la gravitation surprend, surtout avec des objets si légers que les protéines et alors que règnent des forces électromagnétiques très inten-ses. Le cerveau quantique reste un mystère. Même si Max Tegmark n'a pas encore répliqué aux arguments des défenseurs de ce modèle, il lui reconnaît des vertus : " C'est le seul avec lequel on puisse travailler et faire des calculs. "

  25. Un matérialiste : L'âme, pour l'acception commune, est un concept bien étrange. Elle serait une substance qui n'est pas une substance réelle (une "substance pensante"), qui flotterait on ne sait où et qui nous permettrait de penser, et ceci serait réservé à l'homme. Cela voudrait dire qu'on pense avec notre âme, et pas avec notre cerveau. On peut toujours chipoter en disant que le cerveau est le réceptacle de l'âme ou encore un truc plus compliqué pour déstabiliser l'adversaire, par exemple je me souviens mon prof de philo me dire "Pas de cerveau, pas de pensée, de même que pas de jambe, pas de marche, peut-on pour autant dire que la marche est dans les jambes ?", certes, mais il me semble que la marche n'existe pas en elle-même. Enfin bref.

    Il y a une contradiction et il faut d'ores et déjà renoncer à une âme uniquement humaine, car les animaux pensent et ont des "émotions". Si vous en doutez, il y a un autre moyen de prouver que si elle existe, elle n'est pas seulement humaine : le chimpanzé et l'homme ont 99,9% de leur gènes en commun. Avec une si petite différence structurelle, comment pourrait-il y avoir une différence aussi fondamentale que la (non-)possession d'une âme ? Un homme et un singe ne se distinguent pas au niveau embryonnaire, c'est seulement plus tard que des divergences apparaissent, au même titre qu'un bébé peut être mal formé de naissance. Peut-on pour autant dire qu'il n'a pas d'âme...

    Donc l'âme, si elle existe, devrait être aussi chez le singe. D'ailleurs d'après la théorie de l'évolution des espèces (qui n'est plus à prouver) l'homme et le singe sont cousins proches. Leur ancêtre a donné, par mutation, les deux espèces. La mutation est le seul moyen pour passer d'une espèce à une autre. Cet ancêtre devait donc avoir une âme, ou alors elle est apparue par mutation. Si on remonte aux ancêtres de cet ancêtre, il en va de même. Ainsi par récurrence, l'âme a dû apparaître par mutation ! Ce qui est absurde car l'âme est censée être indépendante du corps. On peut trouver ainsi nombre de contradictions dans la notion même de l'âme, et les progrès dans les neuro-sciences finiront par donner le coup de grâce à cette croyance. De même, considérons les réseaux neuronaux simulés par ordinateur. Ceux que l'on peut créer pour l'instant ont une très faible "puissance de calcul" comparés aux êtres humains, mais cela est probablement une simple lacune technologique. Si nous recréons un être neuronal virtuel intelligent, aura-t-il alors une âme ?

    Si vous n'êtes pas convaincus par mes exemples de contradictions, réfléchissez par vous-même sur d'autres problèmes de logique engendrés par la définition de l'âme, car il faut bien garder à l'esprit que toute proposition entraînant une contradiction (une nouvelle proposition qui est toujours fausse) est elle-même fausse. Si une proposition est fausse, cela peut aussi être parce que les termes sont inexacts. Alors remettez en question chacun des termes et vous verrez que cela ne change rien au problème tant qu'on suppose que l'âme est détachée du monde physique. L'âme telle qu'on la conçoit en général est une erreur de logique, erreur pardonable lors de sa création (les données étaient insuffisantes à l'époque) mais qui de nos jours est désapprouvée par toutes les découvertes biologiques et physiques.

    Cependant, on ne peut pas non plus totalement abandonner l'âme dans le sens subjectif du terme. Il est clair que pour l'instant notre propre fonctionnement nous échappe, et même si on arrivait à expliquer chaque détail de notre conscience, notre perception du monde restera toujours teintée, que dis-je, imprégnée de subjectivité. Ansi le concept triple Corps-Esprit-Âme reste un modèle pertinant de notre subjectivité, en quelque sorte son symbol. Il faut juste faire la part des choses entre subjectivité et réalité.

  26. Jean Charon : Quand vous dites que par récurrence, l'âme est apparue par mutation, vous supposez implicitement qu'elle n'existait pas à un moment donné. Ce raisonnement n'est plus valable si l'âme est présente dès le Big Bang, dans les constituants les plus fondamentaux de la matière tels que les électrons.

  27. Hermès Trismégiste : Le principe Divin est incorporé jusque dans chaque atome de la création.Mais il doît être libéré afin que la création puisse se déployer en une manifestation pleine de magnificence.

  28. Raymond Ruyer : L'esprit constitue la matière et en est l'étoffe exclusive. La conscience est à la fois l'endroit et l'enveloppe constituante de la réalité matérielle. Il y a pour les gnostiques un endroit et un envers de l'univers. Par l'observation objective nous ne pouvons connaître que l'extérieur, c'est à dire l'envers, de L'univers et non sa conscience interne qui en est l'endroit.

  29. Heinz Pagels : Le monde invisible n'est ni matière, ni esprit mais l'organisation invisible de l'énergie.

  30. Samuel Jauvert : Si l'on pense que les éléments matériels (électron, atome, molécule ...) avec lesquels nous sommes construits sont dépourvu de conscience il est inexplicable que celle ci apparaisse subitement a partie d'un certain niveau de complexité. Je connais le contre argument qui consiste à dire que " Le tout est supérieur à la somme de ces constituants. ". Je m'inscris en faux contre une telle assertion. Certes, des propriétés nouvelles peuvent surgir avec l'organisation des éléments. Mais ces nouvelles propriétés se définissent toujours dans le même langage que celui définissant les éléments constituants (poids, volume, énergie...). L'apparition spontanée de la conscience ne peut être exprimé avec le langage de la physique ou de la chimie. Avec la conscience il faut parler de sensibilité, de bien de mal, d'intention; vocable totalement étranger à la science matérialiste.
    Nous pouvons poser comme hypothèse que c'est la conscience qui est l'essence même des particules atomiques, que les combinaisons chimiques sont le résultat de leur polarisation (volonté d'amélioration), que les consciences élémentaires fusionnent en une conscience unique à chaque étage de complexification en s'enrichissant de possibilités nouvelles (degré de liberté supérieur)

  31. Stéphane Bleus : S'il y a une instance qui fait que la lumière de l'esprit pénètre la profondeur de la matière c'est partout dans l'univers, sans pour autant tomber dans une thèse panthéiste qui consisterait à dire que parce qu'on a chauffé le cerveau d'un singe il se transforme en cerveau humain. Il y a deux extrêmes : c'est l'idée selon laquelle l'esprit sort de l'arrangement des atomes qui devient tellement complexe que l'esprit en sort, l'esprit comme étant plus que les atomes qui le constituent, ce n'est pas la thèse que je souligne, l'esprit n'est pas le bourgeon d'un arrangement de la matière, et je n'ai pas dit non plus qu'il y a l'esprit qui daigne se pencher vers les gouffres de la matière, qui dans un acte d'immense condescendance gratuite, vient l'habiter pour lui donner un semblant de dignité. Non, je n'ai jamais dit ça non plus. C'est beaucoup plus fin. C'est une thèse métaphysique. On entre en science aujourd'hui comme on entrait en religion. Comme disait Hegel dans la phénoménologie de l'esprit en 1807, l'être humain restera toujours le même, quand il ne divinise plus Dieu il divinise la nature, quand il ne divinise plus Dieu ni la nature il se divinise. Quand il ne sait plus diviniser les trois, il tombe dans le nihilisme. La science n'est pas une religion. [résumé] Il y a surdétermination dans le réel. Le réel est un symbole. Il ne peut se clore. Les théologues essaient de mettre Dieu dans leur tête, comme un enfant qui essaie de mettre la mer dans un trou qu'il a creusé dans le sable.

  32. Pierre Teilhard de Chardin : Le fantastique tourbillonnement des électrons, des noyaux, des atomes, se prolongeant, se ramifiant et s'intensifiant secrètement au plus profond des celules et des édifices cellulaires... En ce maelström fondamental je n'ai plus cessé, depuis 30 ans, de voir se simplifier, s'essentialiser, se transfigurer, la fausse tranquillité superficielle de la Matière vitalisée.
    Matière vitalisée : frêle chose dont l'apparente insignifiance avait toujours inquiété et déçu, jusque là, mon besoin d'adorer.
    Matière vitalisée : délicate écume précairement flottante à la surface du creuset planétaire...
    Voici que soudainement en toi, par tous tes pores, je voyais refluer et jaillir, comme une sève ou comme une flamme, la consistance même du Monde.
    Et, du même coup, tout s'éclairait et s'ordonnait, pour mon regard sensibilisé, dans les choses, à la double échelle des valeurs et du temps.
    Car, tout d'abord, si la Vie n'est plus, comme il pouvait sembler jadis, une anomalie, un accident, une exception, - mais si elle représente seulement la manifestation, localement culminante, d'une dérive fondamentale de la matière, - alors, l'infime quantité de substance organique présentement disséminée à travers les cieux n'enlève plus rien à sa qualité. Qu'importe, en effet, la raretédes êtres vivants, si cette rareté n'est que l'effet et l'expression des difficultés opposées par le jeu des chances à l'émergence d'une force de "complexification" partout en pression dans l'Univers ?
    Mais il y a plus.
    Reconnu et admis (non pas en contradiction, mais en complémentarité, ou même en dominance, du principe mécanique de "moindre effort") le grand principe bio-physique de l'"arrangement maximum" de la Matière, il devenait clair, pour mon esprit, que, une fois la Vie accrochée quelque part dans le Monde, il fallait s'attendre à la voir, non seulement s'épandre, mais s'intensifier (par jeu d'ultra complexification) le plus possible, sur l'astre vitalisé. Ainsi s'expliquait, au fil des temps géologiques, la liste tenace irréversible, de la Cérébration et de la Conscience à la surface de la Terre. Et ainsi prenait sa pleine signification à mes yeux le phénomènehominisant de la réflexion. La réflexion, point critique "cosmique", inévitablement rencontré et traversé à un moment donné par toute Matière portée à un certain excès de température psychique et d'organisation. La réflexion, passage (comme une seconde naissance ) de la Vie simple à la "Vie au carré". La Réflexion, propriété nécessaire et suffisante pour expliquer la discontinuité majeure, et l'espèce de décollement, expérimentalement reconnaissable entre Bio- et Noosphère.
    La Matière matrice de l'Esprit. L'Esprit, état supérieur de la Matière.
    Dans ces deux propositions, devenues l' axe même de ma perspective et de ma progression intérieures, le mot esprit avait désormais pris un sens précis et concret. Il était devenu le terme structuré d'une opération définie.

  33. Jacques Bailhache : La question de la relation esprit - matière pourrait être formulée en termes de relation intérieur - extérieur, mais il ne s'agit pas d'une délimitation nette mais plutôt d'une imbrication qui pourrait bien être infinie. Les notions d'intérieur et d'extérieur dépendent du point de vue selon lequel on se place. Notre personnalité peut être influencée par notre environnement, on peut donc considérer que celui-ci fait un peu partie de nous. D'autre part, on peut voir notre corps comme un outil à la disposition de l'esprit, donc quelque chose d'extérieur à lui. Mais l'esprit est-il une entité immatérielle, comme le pensent les dualistes comme Descartes, ou une émergence de la matière comme le pensent les matérialistes ? La conception dualiste soulève le problème des lois de l'esprit : elles pourraient alors échapper à celles de la matière, mais serait-il alors gouverné par des lois spécifiques ? Dans ce cas, on retombe dans une vision mécaniste. Sinon, est-il gouverné par le hasard pur ? Réciproquement, un esprit émergeant de la matière ne serait pas nécessairement mécaniste dans le sens d'assimilable à une machine finie car la matière n'est pas nécessairement finie, elle pourrait être comparable à des poupées gigognes qui s'emboiteraient à l'infini, une infinité de niveaux d'organisation, dont la description de plus en plus précise mais jamais complètement exacte nécessiterait une progression de théories de plus en plus précises, ce que semble nous montrer l'histoire de la physique. L'esprit apparaitrait alors comme la part du réel non décrite par une théorie, une zone d'indétermination rétrécissant asymptotiquement vers un point dans cette progression de théories.

  34. Roger Penrose : La conscience fait partie de notre Univers. Toute théorie physique qui ne lui réserve pas une place appropriée est donc fondamentalement incapable de fournir une description valable du monde.

  35. Douglas Hofstadter : Comme je l'explique dans "Gödel, Escher, Bach" p431, cette idée satisfait quelque peu notre intuition, mais pas notre sens de la logique. En effet, si nous l'admettions, il nous faudrait alors chercher une explication du mécanisme de perception de tous les symboles actifs [dans le cerveau], s'il n'est pas inclus dans ce que nous avons décrit jusqu'ici. Il est certain qu'un défenseur de l'existence de l'âme ne chercherait pas plus loin et se contenterait d'affirmer que c'est l'âme qui perçoit cette action neurale, et qu'on ne peut pas la décrire en termes physiques. Un point c'est tout. Nous essairons malgré tout de trouver, sans nous référer à l'âme, où se trouve la conscience.
    Face à la thèse de l'existence de l'âme, ma contre-explication, certes déconcertante, consiste simplement à nous en tenir au niveau des symboles en disant : "Et voilà. C'est ça la conscience. La conscience est la propriété d'un système qui apparait chaque fois qu'il existe, dans un système donné, des symboles suivant des séquences de déclenchement semblables [ à celles qui décrivent l'activité des neurones ]. Exprimée ainsi, de façon si abrupte, cette explication peut paraitre inadéquate. En effet, que fait-elle de la conscience du Moi ?
    Il n'y a pas de raison que le Moi ne soit pas représenté par un symbole. En fait, ce symbole est sans doute le plus complexe de tous les symboles du cerveau...
    Un des effets secondaires très important de ce sous-système représentant le Moi c'est qu'il peut jouer le rôle d'"âme". Je veux dire par là qu'en étant constamment en communication avec le reste des sous-systèmes et symboles du cerveau, il enregistre quels symboles sont actifs, et de quelle façon, ce qui implique qu'il doit contenir des symboles représentant l'activité de l'esprit, c'est-à-dire des symboles représentant les actions des symboles.
    Cela n'élève pas pour autant la conscience ou la connaissance de soi à un niveau non physique "magique". La conscience dont je parle ici est le résultat direct du matériel et du logiciel complexes que j'ai décrits. Et pourtant, malgré cette origine terre à tere, cette description de la connaissance de soi comme la surveillance de l'activité du cerveau par un sous-système dudit cerveau rappelle bien la faculté quasi indescriptible que nous connaissons tous sous le nom de "conscience". Il apparait facilement que la complexité atteinte est bien suffisante pour que des effets inattendus se produisent. Il est par exemple très plausible de penser qu'un programme ayant une structure de ce genre ferait sur lui-même des remarques très semblables à celles que les humains émettent couramment sur eux-mêmes. Cela inclut l'affirmation de son libre arbitre, de son inexplicabilité comme "somme de ses parties", etc. A ce sujet, voir l'article "Matter, Mind and Models" de M. Minsky dans son livre Semantic Information Processing (Traitement des informations sémantiques).

  36. J.R. Lucas : Lorsqu'on essaie timidement, pour la première fois, de philosopher, on s'empêtre dans des interrogations visant à savoir si, quand on sait quelque chose, on sait qu'on le sait, ce qu'on a en tête lorsqu'on pense à soi, et ce qui crée ces pensées. Une fois que l'on s'est longuement tracassé à ce sujet, on apprend à ne pas insister sur ces questions : on réalise implicitement que le concept d'être conscient est différent de celui d'objet inconscient. En disant qu'un être conscient sait quelque chose, nous affirmons non seulement qu'il le sait, mais aussi qu'il sait qu'il le sait, et qu'il sait qu'il sait qu'il le sait, et ainsi de suite, aussi longtemps que nous voulons bien nous poser la question; nous admettons qu'il y a là une infinité, mais il ne s'agit pas d'une régression infinie dans le mauvais sens, car ce sont les questions qui s'évanouissent en fumée, faute d'intéret, et non pas les réponses. Et si les questions sont ressenties comme sans intéret, c'est parce que le concept intègre l'idée de possibilité de continuer à répondre indéfiniment à ces questions. Bien que les êtres conscients aient la faculté de continuer, nous ne voulons pas présenter cette faculté comme une simple succession de tâches qu'ils sont capables d'effectuer, et nous ne considérons pas l'esprit comme une suite infinie de Moi,de super -Moi, de super-super -Moi, etc. Nous tenons au contraire à l' idée qu'un être conscient est une unité, et bien que nous parlions des "parties de l'esprit", ce n'est qu'une métaphore qui ne doit pas être prise au pied de la lettre. Les paradoxes de la conscience surgissent parce qu'un être conscient peut être conscient de lui-même, ainsi que d'autres choses, sans pouvoir vraiment être considéré comme divisible en parties. Cela signifie qu'un être conscient peut traiter des questions gödeliennes d'une façon impossible à une machine parce qu'il peut considérer à la fois lui-même et ce qu'il réalise sans être un tiers extérieur à ce résultat. On peut, d'une certaine façon, réussir à faire une machine de telle sorte qu'elle "considère" ce qu'elle réalise, mais elle ne peut pas le "prendre en compte" sans devenir par là une machine différente, à savoir l'ancienne machine à laquelle une "nouvelle partie" a été ajoutée. D'après notre idée de ce qu'est un esprit conscient, il doit être capable de réfléchir sur lui-même etde critiquer ses actions sans qu'une partie supplémentaire soit nécessaire : il est déja complet et n'a aucun talon d'achille.

  37. Alan Turing : La thèse commence alors à se rapprocher plus d'un problème d'analyse conceptuelle que de découverte mathématique : Jusqu'ici, nous n'avons fabriqué que des objets assez simples. Mais au fur et à mesure que nous augmentons la complexité de nos machines, nous risquons d'avoir de plus en plus de surprises. C'est comme avec la pile à fission : En dessous d'une certaine taille "critique", il ne se passe pas grand chose; mais au-dessus de cette taille critique, les étincelles commencent à fuser. Il en est peut-etre de même des cerveaux et des machines. La plupart des cerveaux et des machines sont actuellement "sous-critiques", ce qui signifie qu'ils réagissent aux stimuli reçus d'une façon fixe et inintéressante, n'ont pas d'idées propres, et ne peuvent produire que des réponses toutes faites. Pourtant, quelques cerveaux actuels, et sans doute, certaines machines à venir, sont "sur-critiques" et scintillent de façon indépendante. Ce n'est qu'une affaire de complexité et au-delà d'un certain seuil, une différence qualitative apparait, ce qui fait que les machines "sur-critiques" seront très différentes des machines simples que nous avons connues jusqu'ici.

  38. J.R. Lucas : Il se peut que ce soit vrai. La complexité introduit en effet souvent des différences qualitatives. Bien que cela semble peu plausible, il se peut qu'au-dessus d'un seuil de complexité donné, une machine cesse d'être sans surprise, même en principe,et commence à agir pour son propre compte ou, pour utiliser une expression extrêmement révélatrice, qu'elle commence à penser seule si ses actions n'étaient plus totalement prévisibles et parfaitement dociles, et si elle était capable de faire des choses que nous reconnaissons comme intelligenes, et pas seulement des erreurs ou des actions aléatoires, mais que nous n'aurions pas programmées. Elle cesserait alors d'être une machine au sens courant du terme. La grande question du débat mécaniste, ce n'est pas comment les esprits naissent ou pourraient naitre, mais comment ils fonctionnent. Il est essentiel, pour la thèse mécaniste, que le modèle mécanique de l'esprit fonctionne selon des "principes mécaniques", c'est-à-dire que nous puissions comprendre le fonctionnement du tout d'après les fonctionnements de ses parties, et le fonctionnement de chaque partie sera soit déterminé par son état initial et la structure de la machine, soit par un choix aléatoire entre un nombre déterminé d'opérations déterminées. Si le mécaniste produit une machine si compliquée que cette conception n'est plus valable, ce n'est alors plus une machine telle que nous l'entendons, quelle que soit sa structure. Nous pourrions dire, par contre, qu'il aurait créé un esprit, comme nous disons que nous procréons actuellement des humains. Il y aurait alors deux façons de donner le jour à de nouveaux esprits, à savoir la façon traditionnelle, par l'intermédiaire des femmes, et une nouvelle fa çon, en construisant des systèmes extrêmement compliqués faits, disons, de tubes électroniques et de relais. En parlant de cette deuxième méthode, il faudrait veiller à bien insister sur le fait qu'en dépit de la ressemblance de l'objet créé à une machine, il n'en serait pas vraiment une, parce qu'ilne serait pas simplement le total de ses parties. On ne pourrait pas dire ce qu'il ferait d'après la seule connaissance de son mode de construction et de l'état initial de ses parties : on ne pourrait même pas prévoir les limites de ce qu'il pourrait faire, parce que même si on lui posait une question de type gödelien, il y répondrait correctement. En fait nous pourrions dire en quelques mots qu'un système non terrassé par la question de Gödel ne serait eo ipso pas une machine de Turing, c'est-à-dire une machine au sens courant du terme.

  39. Douglas Hofstadter : A l'écoute de ces interventions de Lucas, mon esprit se perd dans la rapide succession des sujets, des allusions, des connotations, des confusions et des conclusions. Nous sautons d'un paradoxe carrollien à Gödel puis à l'intelligence artificielle, en passant par le holisme et le réductionnisme. On peut dire de Lucas qu'à défaut d'autre chose, il est stimulant.

  40. David Chalmers : Nous pourrions [...] admettre que toute information a un aspect de conscience : lorsqu'il y a traitement complexe de l'information, il y a une conscience complexe, et lorsqu'il y a un traitement simple de l'information, il y a une conscience simple. Dans ce cas, même un thermostat pourrait avoir une conscience, mais elle serait beaucoup plus simple que même la conscience fondamentale que nous avons d'une couleur, et il n'aurait aucune émotion ni pensée associée.

  41. John Searle : Je suis convaincu que le problème de la conscience est sur le point de recevoir une solution scientifique grâce à la neurobiologie. Il semblerait que ces progrès scientifiques décisifs puissent mettre la philosophie hors jeu. Mais –et c’est là un phénomène fascinant– les scientifiques font des erreurs philosophiques élémentaires au sein même de leur conquêtes les plus considérables. Je n’en mentionnerai qu’une : l’orientation actuelle de la neurobiologie est de trouver le "corrélat neurobiologique de la conscience" en termes atomistes. On cherche les "blocs élémentaires" de la conscience, par exemple l’expérience du rouge. Trouvons un bloc élémentaire, et nous aurons la clé de tous les autres, nous saurons comment la conscience est construite par assemblage de ces blocs élémentaires. Telle est la problématique standard dans ce type de travaux. A mon avis c’est là une erreur, car seul un organisme qui est déjà conscient peut avoir l’expérience du rouge, de la forme, de leur conjonction dans un percept donné, etc. Avant de discuter des éléments constitutifs de tel ou tel fait de conscience spécifique, il faut comprendre en quoi consiste la conscience de base ou d’arrière-plan, sans laquelle les percepts spécifiques ne peuvent se produire. Avant d’expliquer des formes spécifiques de conscience, nous avons besoin d’une conception générale de la manière dont le cerveau peut produire la conscience. J’ai beaucoup de discussions avec certains chercheurs en neuro-sciences sur ces questions et j’espère être en train de les amener à partager à mes vues. Le principal représentant de la théorie des blocs élémentaires est Francis Crick. Je corresponds avec lui. C’est un partenaire merveilleux, qui va directement au fond, sans se préoccuper de politesses, et je ne désespère pas de le convaincre. Gerald Edelman, en revanche se rapproche de mes vues. Sa position est intermédiaire entre ce que j’appelle une théorie unifiée du champ et la théorie des blocs élémentaires. Le plus proche de ma conception est un chercheur allemand très connu de Francfort, Wolf Singer. Il pense qu’on doit chercher des capacités globales du système cortical et non les mécanismes spécifiques de tel ou tel percept. En effet, les corrélats neuronaux de ces percepts peuvent exister chez des animaux dénués de conscience. En vertu de la théorie des blocs constitutifs, si vous prenez un agent inconscient et que vous produisez chez lui le corrélat neuronal du rouge, il verra d’un seul coup du rouge et rien d’autre. Or, cela n’est pas possible, ce n’est pas ainsi que le cerveau fonctionne . Il y a encore beaucoup à faire avant de pouvoir dissiper cette illusion, ou celle qui croit à la possibilité d’un programme informatique qui soit capable de conscience

  42. Jacques Bailhache : Les ordinateurs peuvent-ils comprendre ? C'est ce qu'on pourrait penser à la lumière des récents développements de l'intelligence artificielle. Un programme écrit par Roger Schank est capable de répondre à des questions concernant des histoires simples. (scripts, plans, goals and understanding). Mais ce programme comprend-t-il réellement ces histoires ou simule-t-il seulement la compréhension ?
    Pour tenter de répondre à cette question, le philosophe américain John Searle imagine la situation suivante:
    Il est enfermé dans une chambre dans laquelle on lui glisse l'histoire et les questions en chinois à travers une fente. Il ne comprend rien au chinois mais il dispose des instructions exactes, rédigées en Anglais, permettant de déterminer les réponses. Il fait donc la même chose que le programme de Schank, et ne comprend rien aux histoires. Searle en déduit donc que le programme de Schank ne comprend rien non plus aux histoires.
    Plusieurs objections ont été soulevées par cette démonstration et la plus convaincante me paraît être celle selon laquelle si Searle lui-même ne comprend rien aux histoires, de son activité de manipulation de symboles chinois émerge une sorte d'entité (le chinois simulé par Searle) bien distincte de Searle, bien que résultant de son activité, et qui, elle, comprend les histoires. De même, quand nous comprenons une histoire, nos neurones, considérés en tant que petits êtres vivants, n'y comprennent rien, tout ce qu'ils font est de réagir aux excitations transmises par les autres neurones; mais de cette activité émerge l'esprit humain qui, lui, comprend l'histoire.

    Il apparait donc que si l'on prend le mot "comprendre" dans un sens faible, extérieur, comportemental, les ordinateurs peuvent comprendre. Mais le mot "comprendre" peut aussi être pris dans un sens plus fort, intérieur, de compréhension consciente, et c'est le point de vue adopté par Searle. Mais le problème est qu'il supose abusivement que c'est là le seul sens su mot "comprendre", alors que les partisans de l'intelligence artificielle "forte" au contraire considèrent que la compréhension se définit uniquement de façon externe, comportementale, d'où le désaccord. Le problème philosophique est donc doublé d'un problème sémantique. L'apparition de l'intelligence artificielle a provoqué une "ramification sémantique" du concept de compréhension ("brisure de symétrie"). Avant, la compréhension comportementale et la compréhension conscient étaient liés, il n'y avait donc pas besoin de deux mots différents pour désigner ces deux concepts qui sont pourtant bien différents. Mais maintenant, il me semble qu'il n'y a pas de raison de privilégier un sens par rapport à l'autre, et que quand on parle de compréhension, pour être précis on devrait toujours préciser s'il s'agit de compréhension comportementale ou consciente.
    Après avoir précisé les choses d'un point de vue sémantique, il reste certaines questions philosophiques et métaphysiques fondamentales : l'ordinateur comprend-il au sens conscient ? Et l'entité qui émerge de l'activité de Searle dans sa chambre chinoise ? La compréhension consciente découle-t-elle de la compréhension comportementale ?
    Personnellement, je doute que la conscience puisse émerger d'un processus mettant en jeu un nombre de règles fini et bien définies. Je pense plutòt qu'elle apparait ainsi que le libre arbitre dans le cas où on a un processus limite d'une suite infinie de processus définis précisément de façon finie et qui constituent des approximations successives de plus en plus précises mais jamais rigoureusement exactes, du processus duquel émergent alors à la fois la conscience et le libre arbitre.

  43. Pierre Teilhard de Chardin : L’unification du Multiple, qui est le rôle de l’Esprit, n’est pas encore achevée. Ainsi, l’Esprit a-t-il sans cesse besoin de matière nouvelle pour monter plus haut dans l’unification (à condition de ne pas se laisser ramener en arrière, vers le plural, par cette Matière). La Matière est, en quelque sorte, ce dont se nourrit l’Esprit dans son effort ascensionnel. Elle a, en ce sens, une ‘ puissance spirituelle ’. Par sa résistance, elle oblige l’esprit à travailler et à lutter; par sa nouveauté (évolution), elle l’oblige à chercher sans cesse; par son opacité, elle nous fait désirer l’au-delà.

  44. Animateur : Jusqu'à présent nous avons beaucoup discuté de la nature de l'esprit, mais il ne faudrait pas oublier l'autre aspect de la question, la nature du monde matériel.

  45. Hubert Reeves : Personne ne sait vraiment ce que sont le temps, l'énergie, le hasard ou les lois de la nature. Ils ne se laissent enfermer dans aucune définition. Nous avons sur eux des intuitions fragmentaires. Quand on les talonne de près, ils mènent droit au mystère.

  46. Daniel Béresniak : Comment l'Univers a-t-il surgi de cet espace vide et silencieux? C'est la grande question qui hante tout kabbaliste.

    Selon Isaac Luria (1534-1572), le premier acte de Dieu aurait été non pas un déploiement vers l'extérieur (impossible puisqu'il est tout) mais un repli, une contraction. Au commencement, Dieu se serait retiré, rétracté, permettant ainsi la naissance du monde, sous la forme, en tout premier lieu, des vingt-deux lettres de l'alphabet hébraïque. Ce repli, ce "manque à être", autrement dit ce vide autorisant autre chose à être, est nommé le tsimtsoum, un concept essentiel dans la Kabbale.

  47. Socrate : Imagine des hommes dans une demeure souterraine, une caverne, avec une large entrée, ouverte dans toute sa longueur à la lumière : ils sont là les jambes et le cou enchaînés depuis leur enfance, de sorte qu'ils sont immobiles et ne regardent que ce qui est devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur parvient d'un feu qui, loin sur une hauteur, brûle derrière eux; et entre le feu et les prisonniers s'élève un chemin en travers duquel imagine qu'un petit mur a été dressé, semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes placent devant le public, au-dessus desquelles ils font voir leurs marionnettes..
    Maintenant, représente-toi notre nature selon qu'elle a été instruite ou ne l'a pas été, sous des traits de ce genre : imagine des hommes dans une demeure souterraine, une caverne, avec une large entrée, ouverte dans toute sa longueur à la lumière : ils sont là les jambes et le cou enchaînés depuis leur enfance, de sorte qu'ils sont immobiles et ne regardent que ce qui est devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur parvient d'un feu qui, loin sur une hauteur, brûle derrière eux; et entre le feu et les prisonniers s'élève un chemin en travers duquel imagine qu'un petit mur a été dressé, semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes placent devant le public, au-dessus desquelles ils font voir leurs marionnettes.

  48. Glaucon : Je vois.

  49. Socrate : Imagine le long du mur des hommes qui portent toutes sortes d'objets qui dépassent le mur; des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre, en bois, faits de toutes sortes de matériaux; parmi ces porteurs, naturellement il y en a qui parlent et d'autres qui se taisent.

  50. Glaucon : Voilà un étrange tableau et d'étranges prisonniers.

  51. Socrate : Ils nous ressemblent. Penses-tu que de tels hommes aient vu d'eux-mêmes et des uns et des autres autre chose que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face?

  52. Glaucon : Comment cela se pourrait-il, en effet, s'ils sont forcés de tenir la tête immobile pendant toute leur vie?

  53. Socrate : Et pour les objets qui sont portés le long du mur, est-ce qu'il n'en sera pas de même?

  54. Glaucon : Bien sûr.

  55. Socrate : Mais, dans ces conditions, s'ils pouvaient se parler les uns aux autres, ne penses-tu pas qu'ils croiraient nommer les objets réels eux-mêmes en nommant ce qu'ils voient?

  56. Glaucon : Nécessairement.

  57. Socrate : Et s'il y avait aussi dans la prison un écho que leur renverrait la paroi qui leur fait face? Chaque fois que l'un de ceux qui se trouvent derrière le mur parlerait, croiraient-ils entendre une autre voix, à ton avis, que celle de l'ombre qui passe devant eux?

  58. Glaucon : Ma foi non.

  59. Socrate : Non, de tels hommes ne penseraient absolument pas que la véritable réalité puisse être autre chose que les ombres des objets fabriqués.

  60. Glaucon : De toute nécessité.

  61. Samuel Jauvert : Mon " moi " (autrement dit 'je') est à tout instant un état de conscience et n'est que cela. Il consiste en sensations, perceptions, souvenirs, sentiments, idées etc. Mon corps, comme le monde extérieur, ne me sont pas directement connus. Ils ne sont que sensations et perceptions. Ils ne sont donc que des états de conscience interprétés...
    Nous ne connaissons la conscience qu'en nous-mêmes et la supposons plus ou moins dans d'autres êtres dit vivants. En nous même elle se présente comme sensation, perception, souvenir. On l'appelle aussi Esprit ou Pensée. Dans tous les cas, elle est la seule chose que nous connaissions directement. Certains ont dit que le monde matériel, y compris notre corps, n'était qu'une hypothèse que nous faisions sur la nature de la cause de nos sensations.

  62. Jacques Bailhache : C'est vrai, je pense que c'est une évidence qu'il est bon de rappeler de temps en temps, et j'irai même jusqu'à dire que la seule véritable réalité c'est la perception présente de notre état mental qui contient les souvenirs de nos sensations et actions passées. Tout le reste est construction mentale.
    La perception est un transfert d'information d'une réalité perçue vers un esprit percevant. Elle suppose donc l'existence de l'esprit.

  63. Samuel Jauvert : La caractéristique dominante de cette conscience est sa polarisation. Elle est à tout instant dans un état de valeur soit positive (joie, bonheur...) soit neutre soit négatif (tristesse, douleur...). Toute son activité consiste à rechercher l'amélioration de cet état. C'est à dire à rendre cette valeur toujours plus positive et moins négative.

  64. Jacques Bailhache : Les informations que nous percevons ne sont pas aléatoires, elles présentent des régularités. Mathématiquement, cela signifie que ces informations pourraient être décrites par une expression de taille plus petite que celle les décrivant sous la forme sous laquelle elles se présentent. Par exemple, la suite "ABCABCABCABCABCABCABCABCABCABC" qui comporte 30 caractères peut être décrite par l'expression "ABC répété 10 fois" qui n'en comporte que 18. Les régularités perçues nous permettent de supposer que la perception brute est le développement d'un "germe" plus petit (de même que "ABCABCABCABCABCABCABCABCABC" est le développement de "ABC répété 10 fois") et qu'il existe un monde extérieur qui fournit nos perceptions en fonction des actions que nous lui fournissons. Ce monde extérieur ne nous est pas accessible directement mais uniquement par cet échange d'informations.

    A partir de cet échange d'informations, nous construisons une représentation mentale de ce monde extérieur. Ainsi, par exemple, l'enfant examinant les souvenirs qu'il a en mémoire constate que chaque fois qu'il soulève un objet et le lâche, il l'a vu se déplacer vers le bas. Il en déduit que les objets ont spontanément tendance à aller vers le bas. Ainsi il introduit dans sa représentation mentale du monde le concept de force de gravité. De même le physicien poursuit cette représentation mentale de façon plus précise et quantitative, en constatant que cet objet décrit une trajectoire d'équation z = 1/2 g t² z0. Ainsi il construit ce qu'il appelle les lois de la physique mais qui ne sont en fait que des modèles mathématiques décrivant des approximations de plus en plus précises de la réalité, mais toujours approximatives et limitées à un domaine de validité lié au domaine de conditions expérimentales à partir desquelles la théorie a été construite.

    Les régularités de nos perceptions nous apparaissent avec une telle force qu'on en oublie que nous ne percevons que des perceptions, que l'univers physique, l'espace, le temps, la matière... ne sont que des constructions mentales.

  65. Thomas Sidhall : Je pense que je peux soutenir la thèse inverse de la tienne sur les régularités. Tu dis: notre esprit peçoit des régulaités dans l'univers. Moi je dirais: notre esprit est une machine à créer de la régularité, de l'identique, car ce qui est régulier c'est ce qui se répète de façon identique. Notre esprit cherche de l'unité. Cette voiture est composée 4 roues et de peut-être des milliers de pièces mais mon esprit perçoit la voiture comme UN objet identifié comme voiture. Le bouddhisme a recours (en sens inverse) à ce genre de déconstructions pour prouver que les choses 'et le moi' n'ont pas d'existence réelle.
    Kant dit que les concepts d'espace, de temps, de causalité, de conférer l'unité à un objet, à un sujet, sont le résultat du fonctionnement inné (qu'il appelle "transcendantal") de notre esprit. Notre esprit cherche à unifier, à voir toujours plus d'unité dans l'univers. Or je pense que ces régularités n'ont pas d'existence en dehors de notre esprit. Par exemple la terre tourne autour du soleil en 365.2... jours. Mais ce ne sera jamais qu'approximatif! Chaque révolution aura quelques fractions de seconde de différence. Chaque trajectoire d'orbite aura quelques millimètres de décalage. Mais notre esprit (transcendantal) qui soupire après du régulier dira que c'est régulier. Mais en poussant assez loin la précision de la mesure on trouvera en fait que la terre tourne IRREGULIERMENT autour du soleil.

  66. Jacques Bailhache : Il y a du vrai dans ce que tu dis : on croit parfois voir des régularités qui ne sont en fait qu'approximatives. Mais je n'irai pas jusqu'à dire que le monde est totalement chaotique ou aléatoire car dans un tel monde toute théorie physique serait impossible. C'est vrai que les théories physiques qui se succèdent dans l'histoire des sciences ne sont que des approximations successives, mais je pense qu'une régularité même approximative est déja une non-chaoticité objective. De plus, on peut imaginer la possibilité que cette suite d'approximation successive converge vers la réalité, ou même soit la réalité (je pense que ça pourrait expliquer l'esprit, voir mes réflexions métaphysiques : http://members.rotfl.com/log/text/reflmph/francais/naturesp.htm) De plus, une théorie est souvent remplacée par une autre plus complexe d'un point de vue conceptuel ou qualitatif, mais plus simple quantitativement, en terme de quantité d'information. Par exemple, autrefois on pensait que les trajectoires des planètes étaient décrites par des cercles, mais ça ne collait pas tout à fait, alors on a rafistolé la théorie avec un système compliqué d'orbites circulaires imbriquées. Puis on a découvert qu'on obtenait un modèle plus précis en remplaçant ces nombreux cercles par une seule ellipse. L'ellipse est conceptuellement plus compliquée que le cercle mais à un niveau plus profond la théorie qui en résulte est plus simple, de même que Y = "ABC répété 100 fois" est conceptuellement plus compliqué que X = "ABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABCABC" car X ne fait appel qu'au concept de citation explicite alors que Y fait appel en plus au concept de répétition, mais quantitativement, Y est plus simple car ne contient que 19 caractères alors que X en contient 300. Y est une description plus intelligente que X. Je pense que la quintessence de l'intelligence est la perception des régularités, qui est une activité créative, non mécanisable, qui seule permet au mathématicien de transcender les limites inhérentes à tout systeme fermé et fini (machine, système formel...) qui tombe nécessairement dans une boucle chaque fois qu'il tente d'accéder à l'infini. La perception de la régularité permet à l'intelligence créative de se rendre compte qu'on tourne en rond et de sortir de la boucle. Gödel a démontré que tout système formel (ensemble fini d'axiomes et de règles) incluant l'arithmétique est nécessairement limité car soit incomplet (ne permet pas de démontrer des propositions vraies) soit inconsistant (permet de démontrer des propositions fausses). En effet, pour tout système formel S incluant l'arithmétique, on peut construire, en représentant les propositions et les démonstrations par des nombres, une proposition G qui exprime sa propre indémontrabilité dans ce système (G = "Il n'existe pas de nombre qui représente une démonstration de G dans le système S"). Si le système S est consistant (ne permet pas de démontrer des propositions fausses) alors G est vraie (car si G était fausse, alors G serait démontrable dans S, et S serait inconsistant) mais non démontrable, donc S est incomplet. On peut dépasser cette limitation en ajoutant au système S une connaissance de lui-même, une règle selon laquelle s'il existe une démonstration d'une proposition p dans S alors p est vraie (c'est le principe de réflexion de Feferman). On obtient ainsi un nouveau système formel S1 auquel on peut appliquer le même raisonnement qu'à S : on peut construire une proposition G1 qui est vraie mais non démontrable dans S1, on peut ajouter à S1 le principe de réflexion correspondant (si p est démontrable dans S1 alors p est vraie) pour obtenir un nouveau système S2, et ainsi de suite jusqu'à l'infini. L'union de cette suite infinie de systèmes donne un système Sw (w (oméga) représente l'infini) auquel on peut appliquer le même procédé pour obtenir le système S w 1. On a ainsi une suite de systèmes associée à la suite des ordinaux transfinis : 0, 1, 2, ... w, w 1, ... w*2, ... w*w, w puissance w, w pissance w puissance w...). On peut donc obtenir des systèmes de plus en plus puissants en construisant des ordinaux de plus en plus grands, mais toute la difficulté dans cette construction est de ne pas tourner en rond en croyant avancer, et c'est là qu'intervient cette intelligence non mécanisable qui perçoit une régularité dans une suite x0, x1, x2..., ce qui permet sortir de cette boucle en sautant à l'ordinal limite xw puis de continuer avec x w 1, ... x (w puissance w)...

  67. Thomas Sidhall : Je consulte d'abord Jeanne Hersch (l'Etonnement philosophique)sur Kant qui cherche le fondement certain de la connaissance scientifique. Il dit que pour trouver une vérité scientifique, il faut qu'elle soit "nécessaire et universelle". La physique ne nous donne pas de telles vérités si elle n'est prise que comme science expérimentale: on peut laisser tomber un million de fois une bille de fer et elle aura une trajectoire rectiligne mais rien ne garantit dans l'absolu qu'elle ne sera pas déviée la 1.000.001e fois. Et il appelle ce genre de "preuves" expérimentales: "a posteriori".

  68. Jeanne Hersch : Par conséquent aucune expérience ne peut fonder une certitude correspondant à la certitude mathématique. Pourquoi les énoncés mathématiques sont ils (eux) "nécessaires et universels"? Pourquoi sont-ils certains pour nous au point que nous ne doutons pas qu'ils seraient encore valides même si nous nous trouvions sur une autre planète, ou mille ans en arrière dans le passé, ou mille ans en avant dans l'avenir? Parce que ces énoncés, en tant que conditions de la pensée, appartiennent à l'esprit. Ils sont "a priori". La mathématique est une science pure. Je ne voudrais pas de malentendu. Kant ne veut nullement dire par là que toute la mathématique se trouve inscrite à l'avance dans l'esprit du nouveau-né. Il est bien clair que l'enfant doit apprendre que 2 et 2 font 4, et ainsi de suite. Il aura certainement recours à l'expérience, ne fût-ce que pour compter sur les doigts. Mais Kant veut dire ceci: la certitude que 2 et 2 font 4 ne dépend, en tant qu'évidence, de rien d'extérieur comme des doigts, ou des petites boules, mais seulement de la faculté de connaître de celui qui pense; et partout où quelqu'un pense, il pensera ainsi. (...) Comment se fait-il que de purs concepts "a priori" (mathématiques), dont l'origine est dans l'esprit et non dans l'expérience, aient une portée OBJECTIVE? Comment se fait-il qu'ils s'appliquent à la réalité? Nous nous posons rarement cette question. Mais il est possible de se représenter un monde dans lequel ces catégories (a priori) de notre esprit se trouveraient mises en échec parce que tout y serait un pur chaos. Nous pouvons imaginer que dans l'expérience rien ne leur corresponde jamais.

  69. Thomas Sidhall : Ici on commence à toucher à notre question des régularités!

  70. Jeanne Hersch : Chez Kant il y a DEUX sources hétérogènes, deux composantes de la science, toutes deux indispensables et radicalement différentes: l'une qui nous vient de l'expérience, de ce qui nous est donné; l'autre que nous vient des formes "a priori" de notre faculté de connaître. Dès lors la question s'impose: comment les concepts peuvent-ils avoir une quelconque portée objective?

  71. Emmanuel Kant : Penser quelque chose, c'est conférer à ce quelque chose une unité; penser, c'est constituer l'unité de ce qu'on pense. C'est un seul et même processus. Il n'y a pas d'abord une unité qu'ensuite on se met à penser; on ne constitue pas davantage une unité sans penser. Penser, cest précisément ceci: CONSTITUER QUELQUE CHOSE EN UNITE. Conférer l'unité à un objet, c'est exactement la même chose que fonder la conscience, c'est le processus même qui établit la conscience. L'objet de la connaissance, c'est l'unité pensée de ce qui fait face à la conscience, et cette pensée pose en quelque sorte l'unité du sujet en même temps que l'unité de l'objet. L'unité de la conscience se fait à travers l'unité de ce qu'elle pense, de ce qui est en face d'elle - de ce qu'on nomme objet. L'unité de l'objet se trouve en quelque sorte posée d'avance par la conscience. Cette conscience anticipative "a priori" de l'unité de l'objet, c'est ce que j'appelle L'APERCEPTION TRANSCENDANTALE.

  72. Jeanne Hersch : Donc chez Kant ce n'est pas l'expérience qui constitue la faculté de connaître, comme chez les empiristes [cf Miedzianagora?], mais il n'y a pas non plus d'harmonie préétablie entre la faculté de connaître et l'expérience, comme chez Leibniz. Pour Kant, c'est la faculté de connaître, avec ses formes "a priori", qui structure et construit l'expérience. Il n'y a pas donc lieu de se demander, par exemple, comment la CAUSALITE, cette catégorie "a priori", peut s'appliquer aux réalités empiriques: la causalité est "a priori", dans les phénomènes, le lien qui témoigne de l'unité de la conscience pensante. L'esprit n'engendre pas les choses, mais il structure la nature à l'aide de lois (mathématiques) qui lui appartiennent à lui.
    Une première conséquence, c'est que les lois (mathématiques) de la physique peuvent dès lors être dites légitimement nécessaires et universelles, puisque la causalité est une catégorie nécessaire et universelle (a prioir). Autrement dit; si loin que nous poursuivions notre étude de la nature, quel que soit l'objet de notre recherche, là où nous sommes nous-mêmes présents, notre entendement est à l'oeuvre, et il découvre entre les phénomènes les liens du principe de causalité, constitutif de ces phénomènes en tant que catégorie "a priori". Nous portons en quelque sorte avec nous l'espace, le temps, la causalité. Dès que nous pensons ils sont là. C'est ce qui les rend nécessaires et universels. La physique ressemble dès lors à la mathématique, dans la mesure où elle trouve le fondement de sa nécessité et de son universalité dans l'esprit que pense.

  73. Thomas Sidhall : Bon ceci n'est pas simple! En fait que le réel existe c'est une certitude: je me cogne contre le mur même si je suppose qu'il n'a pas d'existence réelle. De même pour les régularités; il y a dans l'univers de phénomènes plutôt réguliers - je te le concède - et d'autres plutôt irréguliers. Si je réfléchis selon l'évolution de l'homme, je dirais que notre cerveau a été doté d'une capacité énorme d'abstaction fondée sur l'expérience réelle, ce qui fait que 2 2=4 est une vérité mathématique et pratique. Notre esprit a un oeil sur le réel et un oeil sur l'abstraction (l'a priori). Kant semble estimer cette capacité d'abstraction tellement fiable que si des faits expérimentaux peuvent être mis en équation (a priori) et qu'en plus ils sont prédictifs ("synthétiques" selon Kant: p ex: un corps a nécessairement un poids), c'est de la science. Une démonstration mathmatique est par définition de l'ordre de l'a priori et peut être prédicitve. Donc la confirmation expérimentale n'est pas nécessaire pour lui. Les mathématiques sont la quintessence de la science. Pourtant Kant reconnaît que les mathématiques n'existent pas dans l'univers et sont une pure création ("transcendantale") du génie de notre esprit. D'où au total, sur une autre planète, une autre espèce évoluée aurait fait des mathématiques sans doute un peu différentes. Fondées sur le réel qui nous est commun dans l'univers, mais traduites dans un autre langage mathémaique sans doute. Donc la définition de Kant, je la trouve un peu idéaliste personnellement. Ayant étudié des sciences appliquées, je serais plutôt d'accord avec les empiristes: l'expérience reproductible donne une probabilité de vérité non absolue que la matématique ne ferait qu'exprimer de façon linguisitique mais sans rien "prouver". Or pour Kant il existe des preuves mathématiques

  74. Bruno Marchal : Si l'on accepte certaines hypothèses philosophiques, il devient nécessaire de transformer le problème du corps et de l'esprit (PCE) en une phénoménologie de la matière (PhMat).


    Dit autrement, les hypothèses en question nous forcent d'extraire une théorie du réel à partir d'une théorie de la conscience.
    Les trois hypothèses philosophiques postulées sont les suivantes :

    Le résultat principal peut se résumer avec la proposition principale:

    COMP => [PCE = PhMat]

    où COMP, désigne le mot "computationnalisme", et est le nom choisi pour l'ensemble des trois hypothèses prises simultanément.
    Du point de vue ontologique on va inéluctablement rencontrer une forme d'idéalisme, ou d'immatérialisme, de type Pythagoricien : tout est nombre ou relation entre nombres. Ceci va à l'encontre d'un préjugé largement répandu selon lequel le mécanisme est d'office une position matérialiste. Pour ce résumé, je vais me contenter d'expliciter les hypothèses et je vais donner un très brève idée de la démonstration de la proposition principale.
    Hypothèses

    1. L'hypothèse du mécanisme digital est l'hypothèse selon laquelle je peux survivre, non seulement avec un coeur artificiel, un rein artificiel, etc., mais aussi avec un cerveau artificiel, en l'occurence constitué d'une machine universelle digitale, c-à-d un ordinateur, convenablement "programmé" à partir d'une description d'un état instantané du cerveau.
    2. L'hypothèse du réalisme arithmétique consiste à admettre que la vérité des propositions arithmétiques sont indépendantes de moi (et de vous, de l'humanité, de l'univers, ...).
    3. La thèse de Church . La thèse de Church dit que toute fonction calculable est calculable par un ordinateur.

    Brève idée de la démonstration L'hypothèse du mécanisme rend le sujet en principe duplicable. En utilisant alors des expériences par la pensée de type déductives je montre que le mécanisme entraîne une forme d'indéterminisme phénoménal (privé, intime, psychologique). Je considère alors un programme capable d'émuler l'activité de tous les programmes possibles. On peut dériver l'existence d'un tel programme, que j'appelle "déployeur universel" au moyen de la thèse de Church. Je montre que si un déployeur universel devait être concrètement exécuté dans notre univers physique, alors il n'est plus possible de justifier nos croyances dans les lois de la physique à partir des lois de la physique. On est amené a réduire le problème du corps et de l'esprit à la justification de nos croyances dans les lois de la physique à partir de l'existence d'une mesure de probabilité intrinsèque définie sur l'ensemble de toutes les histoires computationnelles parcourues par le déployeur universel.
    A ce stade on pourrait penser que j'ai seulement démontrer que notre univers physique est "trop petit" que pour supporter l'exécution concrète d'un déployeur universel.
    Je propose alors une expérience par la pensée plus fine montrant que ce mouvement est interdit. Même si aucun déployeur concret n'est exécuté, le mécanisme exige de rendre compte de l'apparence des lois de la physique a partir de l'informatique théorique.
    Cette demonstration permet finalement d'extraire une partie substancielle de la mécanique quantique à partir de l'informatique théorique.

  75. Max Tegmerk : In my Theory of Everything, I discuss some physical consequences of what might be called ``the ultimate ensemble theory'', where not only worlds corresponding to say different sets of initial data or different physical constants are considered equally real, but also worlds ruled by altogether different equations. The only postulate in this theory is that all structures that exist mathematically exist also physically, by which we mean that in those complex enough to contain self-aware substructures (SASs), these SASs will subjectively perceive themselves as existing in a physically ``real'' world. We find that it is far from clear that this simple theory, which has no free parameters whatsoever, is observationally ruled out. The predictions of the theory take the form of probability distributions for the outcome of experiments, which makes it testable. In addition, it may be possible to rule it out by comparing its a priori predictions for the observable attributes of nature (the particle masses, the dimensionality of spacetime, etc) with what is observed.

  76. Jacques Bailhache : On peut considérer que virtuellement tout modèle mathématique engendre un univers, mais cet univers n'a d'existence réelle que s'il contient de l'esprit qui le perçoit. Selon le principe métaphysique fondamental, tout modèle mathématique infini engendrerait de l'esprit, qui perçoit ce modèle comme une réalité extérieure constituant l'univers physique dans lequel cet esprit vit.

  77. Affidavid Donda : Rosenblatt, le savant qui avait découvert les perceptrons, exposa la thèse suivante : plus le perceptron est important moins il a besoin d'apprentissage pour parvenir à identifier les formes géométriques. La théorie de Rosenblatt se formulait ainsi : "Un perceptron infiniment grand n'a pas besoin d'apprendre quoi que ce soit car il sait déja tout." Donc, ce que peut effectuer un petit ordinateur à l'aide d'un grand programme, un grand ordinateur le peut avec un petit programme. D'où la conclusion logique qu'un programme infiniment grand peut fonctionner tout seul, i.e. sans l'aide d'aucun ordinateur.

  78. Animateur : On pourrait alors voir le monde comme un programme infiniment grand tournant sans ordinateur.

  79. Jacques Bailhache : L'hypothèse des mondes multiples permet d'expliquer le non déterminisme de la physique quantique sans recourir au hasard, en supposant que lors de la collapse de la fonction d'onde l'univers se "ramifie".

    Selon cette hypothèse, chaque fois qu'un choix est possible, l'univers se sépare en plusieurs univers parallèles, un pour chaque choix possible. Donc, la notion même de choix est illusoire. Supposons par exemple que je puisse choisir entre A et B et que je choisisse A. En fait c'est seulement dans ce monde-ci que j'ai choisi A. Dans l'autre univers parallèle, j'ai ou plutòt mon double a choisi B. J'ai l'impression que c'est ce monde-ci qui est réel et que l'autre n'est qu'hypothétique, mais mon double a l'impression que c'est son monde qui est réel et le mien hypothétique. En fait dans l'absolu tous les mondes sont aussi réels.

    On pourrait alors concevoir que l'arborescence de tous les mondes possibles soit entièrement prédéterminée, et que nous avons une impression de libre arbitre, qui viendrait du fait que nous ne percevons qu'une des ramifications de cette arborescence, et cette ramification que nous percevons n'est pas prédéterminée.

    L'hypothèse des mondes multiples permet d'imaginer qu'il existe une infinité d'univers, un pour chaque ensemble de lois physiques possible et imaginable. Dans la plupart de ces univers aucune vie évoluée ne pourrait y apparaitree, et il n'y aurait donc personne pour se poser ce genre de questions. Dans les quelques rares univers propices à l'apparition d'une vie évoluée, des êtres intelligents se demanderaient par quel miracle les lois de la physique sont exactement les bonnes pour qu'ils puissent exister. Cette hypothèse permet ainsi d'expliquer le principe anthropique.

    Selon cette hypothèse, l'existence d'une infinité de modèles mathématiques infinis entrainerait donc l'existence d'une infinité d'univers parallèles. On peut supposer que parmi cette infinité, une partie des modèles et univers correspondant sont suffisamment proches pour que la différence ne soit pas perceptible. On pourrait donc dire que nous existons à la fois dans tous ces univers. Mais il se peut (par "effet papillon") qu'à un instant ultérieur, les différences deviennent perceptibles. Il se produirait alors une "ramification" de ce "faisceau" d'univers. On rejoint ainsi l'hypothèse des mondes multiples proposée pour expliquer la collapse de la fonction d'onde en physique quantique. Selon cette hypothèse, si la position d'une certaine particule est décrite de façon probabiliste par une fonction d'onde, et qu'on effectue une observation qui donne pour résultat une position précise, provoquant ainsi l'effondrement de la fonction d'onde, il se produirait en fait une "ramification" de l'univers, et la particule occuperait des positions différentes dans les différents univers résultant de cette ramification. Selon la théorie de la ramification du faisceau d'univers, les univers seraient en fait déja virtuellement séparés avant l'observation, mais cette séparation ne deviendrait perceptible qu'après. On rejoint ainsi également la théorie selon laquelle l'indéterminisme apparent de la physique quantique serait dû au fait que celle-ci ne décrit pas la réalité ultime mais n'est en fait qu'une approximation. Mais on peut supposer que même si on découvrait une théorie plus précise, elle ne serait toujours qu'une approximation, et donc qu'il subsisterait toujours une indétermination, qu'on pourrait lever avec une théorie plus précise, mais qui ne serait encore qu'une approximation, et ainsi de suite à l'infini.

    La ramification des faisceaux d'univers apporte un éclairage nouveau sur l'esprit, le non-déterminisme, la percetion et le libre arbitre.

    Pour un esprit donné d'un univers donné, à un instant donné si le temps existe dans cet univers, il peut exister plusieurs modèles mathématiques infinis compatibles avec l'état perceptif de cet esprit, la compatibilité pouvant être plus ou moins exacte, l'incompatibilité pouvant ne pas apparaitre si le degré de précision est insuffisant. On peut donc associer à cet esprit un ensemble flou de théories mathématiques infinies. Dans tous les univers correspondants, cet esprit percevra à peu près le même état. On peut donc dire que cet esprit coexiste dans tous ces univers.

    Soit X l'esprit d'un individu vivant dans plusieurs univers d'un ensemble E.

    Considérons le cas où à un instant t l'état perceptif de l'esprit X est le même pour tous les univers de l'ensemble E, mais à un instant t' ultérieur, il n'est plus le même. On peut alors effectuer une partition de E en E1, E2, E3... En tels que dans chaque Ei l'état de l'esprit X soit le même pour tous les univers de Ei. On peut se représenter visuellement cette situation par un faisceau de fils représentant E, qui se ramifierait en plusieurs faisceaux représentant E1, E2, ... , En; chaque fil représentant un univers, c'est-à-dire une théorie mathématique infinie.

    Cette théorie rejoint à la fois celle des mondes multiples avec ramification et celle selon laquelle l'indéterminisme en physique quantique est dû au fait que cette théorie n'est qu'une approximation, et qu'il existe un niveau sous-jacent dans lequel l'indétermination est levée. Mais même si on formulait une théorie finie plus précise, une indétermination pourra toujours subsister dans cette théorie, cette indétermination pouvant être en partie levée par une théorie plus précise, et ainsi de suite à l'infini.

    L'esprit X aura l'impression que à l'instant t, il y a n potentialités d'évolution, et à l'instant t', dans chaque "branche" Ei, l'esprit Xi correspondant aura l'impression qu'un choix a été fait, que seule la potentialité i a été retenue, à l'exclusion des n-1 autres, car pour lui les n-1 autres branches sont devenues totalement inaccessibles. Mais en fait, aucun choix n'a véritablement été fait, car dans une autre branche Ei l'esprit Xj aura eu l'impression que c'est la potentialité j qui s'est réalisée. Donc, dans l'absolu il n'y a pas véritablement de choix, toutes les potentialités étant réalisées "en parallèle", mais dans chaquez branche l'esprit a l'impression que la potentialité corespondante a été choisie. Suivant le cas, ce choix lui apparaitra soit comme une perception sensorielle, soit comme une action résultant de l'exercice du libre arbitre.

    L'esprit résulte d'une imbrication infinie. En s'arrêtant à un certain niveau d'approximation, les lois sont probabilistes. Considérons une bifurcation, une ramification du faisceau d'univers où au départ la différence serait localisée à un endroit précis de l'univers, cette différence pouvant éventuellement se propager par la suite. Si au niveau d'approximation considéré, la différence apparait comme résultant du non-déterminisme appliqué à un élément constitutif d'un être vivant, cet être vivant aura le sentiment d'agir sous la direction de son libre arbitre. Sinon, il aura le sentiment d'une perception sensorielle extérieure. La distinction peut donc dépendre du niveau d'approximation considéré. La bifurcation sera toujours perçue comme action déterminée par le libre arbitre si elle est perçue comme telle à tous les niveaux d'approximation, et c'est d'ailleurs le seul cas où l'on peut considérer qu'il y a véritablementy sentiment de libre arbitre dans l'absolu.

    A un niveau de précision donné, on peut représenter un être vivant par une structure incluant des "unités spirituelles" considérées à ce niveau d'approximation comme "sans lois" car on ne rentre pas dans le détail de leur structure interne; on les considère comme des entités spirituelles dotées de conscience, de perceptions et de libre arbitre. Suivant le niveau d'approximation, ces unités spirituelles pourront être l'individu tout entier, le cerveau, le neurone, la molécule, l'atome, la particule... Par exemple, si on s'arrête au niveau de l'undividu' les battements de coeur sont considérés comme libre arbitre, mais au niveau des neurones ils apparaissent comme perception.

    Considérons un univers tel que le nòtre, où vivent plusieurs êtres vivants ayant un sentiment d'individualité, à un instant donné les faisceaux d'univers correspondant à ces différents individus ne seront pas forcément les mêmes. Le faisceau d'univers correspondant à un groupe d'individus sera l'intersection des faisceaux des individus.

    La théorie des univers mathématiques permet de réconcilier d'un certain point de vue les partisans du déterminisme et ceux du libre arbitre. En effet, si on considère globalement tous les univers et leurs ramifications, tout est régi par des lois déterministes. Et même en ne considérant qu'un seul univers, les lois qui le régissent, dans l'absolu infini (et non pas les approximations finies que constituent les théories physiques) sont déterministes.

    Mais d'autre part, en ce qui concerne notre perception du monde, qui seule nous concerne directement, nous ne sommes concernés que par notre univers, ou le faisceau d'univers restant "lié" à lui. Lors d'une bifurcation, tout se passe comme si nous choisissions l'une des branches. D'autre part, quel que soit le niveau de précision (d'approximation) considéré, il restera toujours une part d'indétermination, d'inconnu. Donc le point de vue du libre arbitre est également justifié.

    On peut dire plus précisément que l'exercice du libre arbitre par un être vivant consiste à choisir un sous-ensemble de théories mathématiques infinies, ou d'univers, parmi l'ensemble des théories compatibles, l'instant considéré, avec l'état de l'esprit de cet être vivant. On peut également considérer le libre arbitre comme l'observation par l'esprit de son propre choix.

  80. Démocrite : Tout est déterminé, tout a une cause, et ce qu'on appelle "hasard" est le nom que l'on donne en fait à notre ignorance. Ce déterminisme meut le mouvement de tous les atomes. Ceux de la matière, tourbillonnants, unissant le semblable au semblable, forment les éléments (terre, air, eau et feu) ; ceux qui se détachent des objets (simulacres) pour former les images qu'on en a, tandis que d'autres sortent de l'oeil pour viser l'objet ; ceux de l'âme elle-même, plus rapides parce que sphériques, et qui permettent la pensée ; ceux des semences masculine et féminine, qui forment le corps des nouveaux êtres...

  81. Spinoza : Dans la nature il n'y a rien de contingent, mais toute choses sont déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à produire un effet d'une certaine façon...Les choses n'ont pas pu être produites par Dieu autrement qu'elles ne l'ont été, ni dans un autre ordre.

  82. Jacques Bailhache : Les théories déterministes et de mondes multiples soulèvent un problème éthique fondamental : dans le cadre de ces théories, la notion de choix en tant que sélection d'une possibilité à l'exclusion des autres n'aurait plus de sens, et l'éthique s'effondrerait. l'interprétation d'Everett pose un problème car elle pourrait impliquer que si on a vraiment le choix, tous les choix sont faits respectivement dans des mondes parallèles. On peut cependant résoudre le problème dans le cadre de la théorie des esprits multiples en considérant qu'un esprit peut faire le choix d'aller dans tel ou tel monde, mais si l'esprit ne dure qu'un instant, un tel choix n'a plus de sens, et c'est toute l'éthique qui s'effondre. En effet, soit nous n'avons pas vraiment le choix car celui-ci est déterminé de façon unique par les lois de la physique qui régissent notre cerveau, soit nous avons le choix et tous les choix sont effectués en parallèle. Une façon plus rigoureuse de fonder votre argumentation pourrait consister à considérer cet argument éthique pour justifier l'hypothèse selon laquelle l'esprit existe dans la durée.
    Mais ce ne sont que des spéculations métaphysiques qui peuvent être fausses, et l'erreur est beaucoup plus grave dans un sens que dans l'autre: si on croit que la notion de choix n'a pas de sens alors qu'elle en a un, on pourrait être amené à se laisser aller, ne plus faire d'efforts pour aboutir à ce qu'on considère comme bien, alors qu'en sens inverse, l'erreur n'a aucune importance. On peut donc donner un sens à l'éthique en se basant sur une sorte de pari pascalien qui conduirait à une attitude assez inconfortable consistant à croire que probablement la notion de choix n'a pas de sens mais à faire comme si elle en avait au cas où on se tromperait.
    On pourrait encore étudier d'autres possibilités comme par exemple un non déterminisme à plusieurs niveaux avec réalisation de toutes les possibilités ou non à chaque niveau. C'est un vaste champ de possibilités qui est ouvert.

  83. Samuel Jauvert : Nous venons de voir que les phénomènes physiologiques étaient soumis au même déterminisme que les phénomènes du monde non vivant. Ce déterminisme étant rigoureusement indépendant de notre volonté, notre comportement et nos actions sont donc l'expression de ce déterminisme : Nous n'avons apparemment aucune possibilité d'agir autrement que nous le faisons.
    Nous avons également vu que l'introspection nous révélait un déterminisme psychologique tout aussi rigoureux qui nous place dans l'obligation continue de n'agir que pour l'amélioration de l'état affectif de notre conscience.
    Comme il n'est pas possible d'agir simultanément de deux façons différentes, nous devons admettre que les déterministes physico-chimique et psychologique sont l'envers et l'endroit d'un même déterminisme. Un même phénomène observé sous deux points de vue différents : le subjectif et l'objectif. Le même phénomène soit vécu par le sujet, soit observé par un tiers biologiste. Puisqu'il y a continuité du déterministe physico-chimique depuis l'électron jusqu'à un organe tel que le cerveau, ne peut-on penser qu'il y a parallèlement continuité de la conscience (du subjectif) ? Le bon sens s'insurgent contre une telle hypothèse. Laissez-moi vous montrer, en recherchant les conséquences de cette hypothèse, que les arguments en sa faveur sont extrêmement forts.

    Dissymétrie-mentale. Notre esprit est construit pour une emprise précise sur les objets mais affligé d'une cécité absolue sur les sujets (à l'exception de lui-même).

    Nous inférons une conscience dans d'autres êtres quand leur ressemblance et leur comportement ont des analogies avec le nôtre. Mais plus ces êtres sont différents de nous plus notre raison répugne à leur prêter du mental. (La controverse de valiadoline a montré comment l'église a finalement accepté l'idée que les indiens découverts par Christophe Colomb avait une âme alors que le problème de savoir si les noirs d'Afrique en avait une ne se poser même pas tellement ils étaient considérés comme différents d'un espagnol...) Devant tout objet il nous importe de savoir ce qu'il est pour nous et indiffèrent de savoir ce qu'il est pour lui. Nous sommes dans l'ignorance totale sur la nature des émetteurs mais parfaitement informés sur les signaux qu'ils émettent.
    En résumé, l'évolution nous a doté de plusieurs sens et d'un esprit récepteur et " chosificateur " de signaux en nous privant totalement d'informations sur la nature des émetteurs. La seule réalité au monde que nous connaissions à la fois comme objet et sujet est nous même.

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